Vous souvenez-vous de vos cours d’histologie et d’embryologie dentaire? Non? C’est normal : car vous n’étiez qu’en deuxième année, sans aucune expérience clinique et les informations vous ont sans doute été débitées de manière froide et brutale, sans le moindre lien avec la pathologie et la thérapeutique.
Pourtant, la dentisterie moderne, préservatrice et adhésive, s’intéresse tout particulièrement à un tissu dentaire tout à fait singulier et au combien précieux : l’émail.
LA STRUCTURE DE L’EMAIL
L’émail est minéral à 96%, et essentiellement constitué de cristaux de phosphate de calcium (hydroxyapatite) organisés en prismes, disposés perpendiculairement à la jonction amélo-dentinaire.
Cliquez ici pour une remise à niveau sur l’amélogénèse
L’épaisseur de l’émail varie de 2,5mm au niveau des cuspides à quelques dixièmes de millimètres au collet. L’émail dentaire est, sans conteste, le tissu le plus dur de l’organisme et permet ainsi la fonction masticatrice.
POURQUOI L’EMAIL EST-IL SI PRECIEUX?
- Pour protéger la dentine : sans émail, la dentine est soumise aux agressions physico-chimiques intenses de l’environnement buccal. A pH égal, son rythme de déminéralisation est 6 fois plus rapide que celui de l’émail. De plus, l’innervation du complexe dentino-pulpaire expose le patient, dont la dentine est exposée, à des symptômes douloureux.
- Pour la résistance structurelle de la dent à la flexion : les nombreux travaux in vitro du Dr. Pascal Magne (entre autres) ont clairement montré que la résistance à la flexion d’une dent diminuait en fonction de la quantité d’émail perdu.
- Pour optimiser le collage des matériaux restaurateurs : grâce à sa structure minérale et cristalline, le collage des matériaux de restauration sur l’émail lui confère les plus fortes valeurs d’adhésion et de longévité dans le temps. Cela ne veut pas dire qu’il soit impossible de coller sur la dentine mais le collage sera beaucoup moins fiable et c’est pour cela que les techniques restauratrices adhésives modernes insistent toutes sur l’impérieuse nécessité de préserver l’émail et particulièrement en périphérie de la restauration.
QU’EST CE QUI DÉTRUIT L’EMAIL?
En dehors des différents syndromes d’amélogénèse imparfaite, il y a 3 origines à la destruction de l’émail :
- Les surcharges mécaniques (fonctionnelles et para-fonctionnelles) : attrition, usures aberrantes.
- Les biofilms bactériens qui s’installent et se développent sur les surfaces dentaires, métabolisent les sucres de l’alimentation pour les transformer en acide. Cette attaque acide qui produit une baisse du pH local provoque une déminéralisation des prismes d’émail. Si ces conditions s’intensifient et/ou se maintiennent dans le temps, une/des caries apparai(ssen)t.
- L’environnement buccal revêt une importance toute particulière. Les patients dont le pH intra-buccal est trop acide sont prédisposés à l’érosion et à l’abrasion. Face à des signes d’érosion dentaire, l’origine de l’acidité doit être recherchée. Elle peut être intrinsèque (régurgitations du contenu gastrique) ou extrinsèque (essentiellement alimentaire).
La vidéo ci-dessous montre de manière très spectaculaire l’effet des sodas sur l’émail dentaire :
COMMENT REMINÉRALISER L’ÉMAIL?
De part sa structure et sa composition, l’émail présente cette capacité extra-ordinaire de se reminéraliser grâce à :
- La Salive : Sans salive, les dents se dissoudraient, purement et simplement. Grâce à son pouvoir tampon et aux minéraux qu’elle contient, la salive permet une reminéralisation permanente de l’émail qui subit les attaques acides. C’est pourquoi les patients souffrant de xérostomie, non seulement vivent un enfer, mais subissent des dégats dentaires conséquents.
La stimulation du débit salivaire par des gommes à mâcher est une stratégie simple et efficace pour gérer la maladie carieuse et l’érosion dentaire. - Le Fluor : le fluor a la capacité de se lier à l’hydroxyapatite pour former de la fluoroapatite, plus résistante à l’attaque acide. En effet, le seuil critique de déminéralisation de l’émail est normalement de 5,5 alors que celui de la fluoroapatite est de 4,5.
- Le Xylitol : nous avons déjà parlé de ce « sucre anti-caries », de ses nombreux avantages en dentisterie prophylactique et des études qui montrent qu’il permettrait la reminéralisation de l’émail dentaire.
- CCP-ACP (Casein Phosphopeptide – Amorphous Calcium Phosphate) : ce mélange, porté au contact de l’émail, permet des transferts d’ions calcium et phosphate et favorise la reminéralisation et la protection des tissus dentaires. Cliquez ici pour en savoir plus
CONCLUSION
La préservation et le renforcement de l’émail dentaire doit être une priorité absolue en dentisterie restauratrice. La recherche des facteurs de risques de destruction des tissus dentaires doivent pousser le praticien et le patient à mettre en place des mesures spécifiques tant en matière de prévention que de thérapeutique. Pour cela, une bonne connaissance des mécanismes de reminéralisation et d’adhésion sont indispensables.
A lire également :
– La Salive et ses Pathologies
– Les Usures Dentaires
– L’Usure Fonctionnelle
– L’Erosion Dentaire
– Comment Diagnostiquer un Reflux Gastro-Oesophagien?
– La Sécheresse Buccale
La vidéo sur la supposée action des « sodas » décrédibilise totalement cet article très intéressant par ailleurs. La concentration en acide phosphorique est extrêmement faible dans les sodas, or cette vidéo pseudo-scientifique montre l’effet de cet acide pur sur un email animal dont la surface très anfractueuse favorise la pénétration des fluides…
Hormis ce faux-pas, bravo pour ce blog de très bon niveau
Cher Maitre,
Merci de votre fidélité au site et pour ce commentaire qui mérite discussion.
Vous avez raison de dire que sur cette vidéo, dont la forme peut déplaire, l’expérimentation est discutable et la concentration en acide phosphorique n’est évidemment pas la même que dans les sodas. Cependant, si on diminue la concentration de l’acide phosphorique et qu’on augmente le temps d’exposition, les effets seront les mêmes, bien que moins spectaculaires. Une autre vidéo disponible sur le web le montre : cliquez ici
La morphologie et l’anfractuosité des surfaces ne semblent pas constituer un point capital puisqu’on observe que la déminéralisation est très nette sur les surfaces lisses et convexes de la dent. Il ne s’agit pas non plus d’un email dentaire humain mais de l’émail d’un mammifère malgré tout (sanglier).
Cette vidéo « grand public », n’est pas parfaite, je vous l’accorde, mais permettra, je l’espère, à tous les visiteurs du site (dont certains sont des patients) de réaliser le potentiel érosif des acides phosphoriques et citriques. Ces derniers, à pH équivalent, ont une capacité de chélation (« arrachage » chimique) du calcium plus importante que les autres acides alimentaires. Or, on les retrouve dans un nombre croissant de sodas (Coca Light, Coca Zero…) que certains patients consomment en pensant qu’ils ne présentent pas les inconvénients caloriques des marques princeps.
Le fléau de l’érosion commence à devenir une réalité clinique qui n’a pas du vous échapper. Certains patients, plus ou moins jeunes, consomment des quantité aberrantes de sodas et s’ils combinent différents facteurs étiologiques/aggravants, les destructions amélo-dentinaires se décuplent, toujours selon le même mode.
Je recommande à tous ceux qui voudraient en savoir plus sur le potentiel érosif des sodas de lire l’article de Gunepin, Derache, Pecheur, Richard & Maugey : Erosion dentaire et consommation de boissons rafraichissantes non alcoolisées
Cet article a d’ailleurs été repris dans le numéro spécial consacré aux érosions dentaires d’Alpha Oméga News de Mai-Juin 2016 et qui propose un tour d’horizon très complet des étiologies et des thérapeutiques liées à cette problématique grandissante.