La prise de décision thérapeutique est un processus intellectuel complexe, qui résulte de l’analyse et de l’intégration d’une multitude de paramètres liés au patient bien sûr, mais aussi liés au praticien lui même. Certains de ces paramètres sont analysés de manière plus ou moins consciente, d’autres sont occultés plus ou moins volontairement. Le niveau de compétence du praticien, les besoins et le niveau d’exigence du patient, l’impact économique du traitement… tout cela concourt à un résultat assez déconcertant : pour une situation clinique donnée, il y a autant de plans de traitement que de praticiens.
Et lorsque des confrères ont le courage de présenter leur travail au travers de communications professionnelles et de s’exposer aux jugements et critiques de leurs pairs, il est intéressant de noter que, très souvent, les débats se cristallisent (et parfois s’enflamment) sur la question de la quantité de traitement.
Y a t-il sur-traitement? Y a-t-il sous-traitement? Comment déterminer la juste dose de traitement?
LE SUR-TRAITEMENT
C’est le vice qui est systématiquement recherché et critiqué le cas échéant. A l’heure du gradient thérapeutique, il est même en passe de devenir un péché capital. Avec en toile de fond la circonstance aggravante de l’appât du gain présumé de la part de ceux qui aurait la main un peu trop lourde sur le forêt implantaire ou la turbine. Ainsi, on peut lire ou entendre : « Il y n’y avait pas besoin d’autant d’implaaaaaaaants!!! », « … faire une couronne dans ce cas est une fôôôôôôôôôte!!! », « … ce bridge constitue une mutilation intolérâââââââârghl… »
Les exemples sont légions et concernent très souvent la prothèse ou plus récemment la dentisterie esthétique en plein essor. Dans ce domaine d’ailleurs, les traitements proposés se basent, non seulement sur des critères biologiques, mais aussi sur des critères subjectifs tant de la part du patient que du praticien, ce qui peut les rendre encore plus difficiles à justifier.
Quoi qu’il en soit le sur-traitement constitue un risque considérable pour la santé des patients car il peut générer des mutilations excessives et irréversibles pouvant déboucher sur ce que les juristes interprètent souvent comme une perte de chance pour le patient.
LE SOUS-TRAITEMENT
Le sous-traitement est un traitement médical délibérément maintenu en deçà des besoins du patient. Il peut être la conséquence d’une décision conjointe du praticien et du patient, ce dernier refusant pour des raisons personnelles, de ne pas traiter (ou de retarder le traitement d’) une pathologie.
Mais beaucoup plus souvent, le sous-traitement est le résultat d’une sous-évaluation diagnostique. Les pathologies parodontales sont sous diagnostiquées en France et donc sous traitées. Les désordres et dysfonctionnement de l’occlusion encore plus.
Pourtant, le sous-traitement est particulièrement délétère pour le patient, qui croyant être correctement soigné, est maintenu dans une spirale de soins ponctuels, sans prévention ni vision d’ensemble.
Les causes du sous-traitement sont probablement à rechercher dans l’organisation de notre système de santé :
- La Sécurité Sociale, bras armé de l’Etat et dont l’obsession pour la maitrise des dépenses de santé surpasse largement l’amélioration de la santé des individus.
- La rémunération à l’acte qui pousse les praticiens à boucher des trous plutôt qu’à rechercher ce qui les a causé.
- Le désengagement de la Sécurité Sociale des actes de prévention parodontale et carieuse, qui pousse les praticiens à privilégier les actes réparateurs.
- Le trop faible nombre de soignants face à l’immensité des besoins aboutissant à une augmentation perpétuelle et inquiétante des cadences de travail dont le corollaire est une diminution du temps consacré à l’écoute, à l’observation et donc au diagnostic.
LE JUSTE TRAITEMENT
La question de la juste quantité de traitement ne peut se discuter que lorsque le praticien traitant est en mesure de justifier objectivement et scientifiquement sa décision thérapeutique. Cette décision doit s’appuyer sur :
- L’écoute des symptômes du patient / Poser les bonnes questions
- L’observation des signes cliniques / Savoir quoi chercher
- Le respect des indications / Savoir vers qui et quand adresser le patient
D’où l’importance du diagnostic global qui devrait systématiquement lister l’ensemble des symptômes et des signes cliniques observés pour chaque situation. Le temps consacré à cette phase de diagnostic ne peut se faire qu’en se libérant de l’obsession de l’acte et de sa cotation Sécu qui conduit, nous l’avons vu, aussi bien au sur- qu’au sous-traitement.
Seul un effort diagnostic de recherche des étiologies et des facteurs de risque permet de casser le cycle des soins perpétuels et d’améliorer l’efficacité dont notre système de soins à tant besoin. Un traitement qui pourrait passer à première vue pour du sur-traitement, mais qui, justifié par des observations cliniques détaillées et cohérentes, peut s’avérer être une bien meilleure protection contre de futures détériorations.
Bien sûr, l’effort est également d’ordre éthique puisqu’il faudra au praticien la force de résister à la gratification immédiate et faire de l’information du patient et du recueil de son consentement éclairé une priorité absolue.
Car c’est bien le patient, et lui seul, qui, au final, devra être en mesure de décider de la manière dont il souhaite être traité.
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Le sous traitement consiste à ne pas considérer la bouche comme un système et à ne pas diagnostiquer tout ce qui concerne un état parodontal altéré et une occlusion perturbée; car lorsque le système est dans un état stable tant par son support parodontal , que par ses contacts interproximaux et occlusaux il s’auto entretien pour peu que le patient ait une bonne hygiène.
Quelque soit le soin entrepris une bon praticien se préoccupe de faire en sorte que le système soit en état de stabilité intra et inter arcades.
Cher Confrère,
L’approche globale fait encore (malheureusement) trop cruellement défaut à la prise en charge odontologique.
Vous insistez sur les composantes occlusale et parodontale et je ne peux que vous donnez raison. L’aspect « biomécanique » (j’entends par là toutes les pathologies susceptibles de détruire les tissus dentaires constitutifs des organes dentaires) est lui aussi nettement sous évalué : combien de cas d’érosion ne sont pas diagnostiqués alors que les conséquences sont désastreuses? Combien de volumineuses restaurations coronaires sont laissées en l’état avec les risques de perdre la dent en cas de fracture?
Les critères de décision thérapeutiques sont décidément très variables, pour ne pas dire complètement subjectives. Nous manquons, je pense, de critères objectifs et de grilles d’évaluation précises pour justifier nos choix d’intervenir ou de ne pas intervenir.
Merci beaucoup pour votre intervention.
Article pertinent.
Trouver le juste traitement est souvent un compromis trouvé avec un patient bien informé.
Merci Guillaume
Oui! Et je rajouterai même que pour être bien informé, le patient doit être correctement évalué et globalement diagnostiqué.
Merci Guillaume pour cette remarque.