La construction du plan de traitement global amène bien souvent à se poser la question de la conservation ou de l’extraction d’une ou de plusieurs dents. Ces décisions thérapeutiques ne peuvent pas se prendre à la légère. Pour les justifier, il faut se baser sur les paramètres cliniques de la situation individuelle du patient mais aussi sur des données scientifiques validées. Mais dans la littérature, on trouve tout et son contraire. La première partie de cet article nous a permis de dégager des notions bibliographiques permettant de faire face à des problèmes parodontaux. Dans la deuxième partie, nous avons mis en évidence des éléments décisionnels pour la restauration des dents dépulpées.
Dans cette dernière partie, nous allons voir si nous n’accordons pas une confiance exagérée aux implants ostéo-intégrés… Car ils sont à la mode, ils sont rentables, ils sont à la pointe de la technologie et ils semblent constituer une alternative « fiable », à tel point que beaucoup de praticiens sont prompts à extraire des dents considérées comme « sans espoir », « douteuses » ou « loin d’être idéales » pour les remplacer illico par des prothèses implantaires. Pourquoi pas? Les implants constituent une solution fiable et pérenne; les implants ne connaissent pas de caries et sont la meilleure option pour remplacer les dents absentes. Comparés à certains traitement conservateurs longs, complexes et hasardeux, c’est même souvent l’option la plus simple et la plus rapide, alors pourquoi s’en priver?
« Les implants ne servent pas à remplacer les dents; ils servent à remplacer les dents absentes. »
– Thomas Albrektson.
Récemment, le Journal of American Dental Association, a étudié les taux de succès des restaurations implanto-portées dans les cabinets « normaux » (par opposition aux centres d’études en implantologie) et a proposé un éclairage nouveau sur ce qui définit réellement « le succès » en implantologie. Non seulement cela influence grandement le taux de succès global des implants dentaires mais aussi la façon dont nous les intégrons dans les options thérapeutiques que nous proposons aux patients. Dans cette étude, le taux d’échec des implants dentaires était de seulement 7% à 4 ans, mais lorsqu’on intègre la perte osseuse péri-implantaire, le taux d’échec passe au dessus de 18% à 4 ans. Les complications et les échecs prothétiques sont souvent, eux aussi, passés sous silence.
CONCLUSION
A l’aide d’éléments choisis de littérature, en fonction des critères étudiés, et en fonction de la situation clinique, nos décisions peuvent et doivent être nuancées. Paradoxalement, si on observe les décisions thérapeutiques telles qu’elles sont prises dans une grande majorité de cabinets, on constate que les atteintes parodontales inquiètent bien plus les praticiens que les atteintes structurelles des dents dépulpées.
La forte tendance paro-implantaire (dont les termes sont contradictoires) penche volontiers, en cas de maladie parodontale, pour des extractions dites « prophylactiques » puisqu’il faut préserver le support osseux tant qu’il y en a… pour pouvoir y faire tenir des implants! Mais c’est oublier que l’attache péri-implantaire est bien plus fragile vis à vis du challenge bactérien que l’attache parodontale naturelle, même affaiblie.
Face à des dents dépulpées, il est curieux de constater que beaucoup de praticiens conservent des dents délabrées au delà du raisonnable… pour pouvoir y faire tenir des couronnes! Mais c’est oublier que la rétention de ces prothèses ne se fera qu’au moyen de volumineux tenons radiculaires qui mèneront à coup sûr, et tout aussi rapidement, à d’irrémédiables complications.
La conservation des dents pulpées est fonction de la qualité mise en œuvre dans l’alésage, le nettoyage, le traitement radiculaire, l’ancrage radiculaire anatomique de l’inlay-cor. Du beau travail qui donne la satisfaction d’un résultat conservateur bien rempli. Cela s’appelle la conscience professionnelle du praticien. Culture judéo-chrétienne oblige.
Le résultat à long terme devrait être pris en compte. Reconnaitre les praticiens dont les travaux ne sont jamais à reprendre.
Sachant que les contrôles des dossiers sont limités sur 2 ans…. Que les travaux en bouche ne sont pas visibles… Que la pratique bucco-dentaire est avant tout individuelle en cabinet dentaire… Là se trouve le problème de notre profession!
Cordialement
Bonjour et merci pour la rédaction de cet article.
J’aimerais revenir sur la conclusion : »Face à des dents dépulpées, il est curieux de constater que beaucoup de praticiens conservent des dents délabrées au delà du raisonnable… ».
Dans les cas de dents très délabrées, et quand l’élongation coronaire et la traction orthodontique ne sont pas possibles/acceptées par le patient, ne vaut-il mieux pas conserver la dent (inlay-core, couronne) en expliquant au patient les éventuelles complications plutôt que de procéder d’emblée à l’extraction de la dent ? Cela contribue pour moi à rallonger la durée de vie de la dent…
Qu’en pensez-vous ?
PS: mon expérience clinique est loin d’être la vôtre
Merci encore
Bonjour Hugo,
Laissez-moi vous faire part d’une observation que j’ai faite : il n’est pas rare, en France, de voir des dents qui en sont à leur 3ème IC+couronne de leur existence. Dans beaucoup d’autres pays, le 1er traitement endodontique signe souvent un point de non-retour. La dent pourra bien sûr être re-traitée en cas de problème ultérieur, mais le rapport bénéfice/risque d’un retraitement sera plus attentivement étudié, au cas par cas.
J’ai très souvent vu des dents, délabrées au ras du plancher radiculaire, avec des limites juxtaposées-osseuses, des problèmes endodontiques, dans un contexte global non équilibré, subirent un 3ème voire un 4ème retraitement endo + IC + couronne.
Dans ces situations extrêmes comme celle que vous évoquez : le pronostic de la dent est sans espoir. C’est à dire que la dent sera probablement à extraire dans un délai proche de moins de 5 ans… et cela peut très bien survenir dans 5 mois. Le patient a toujours le choix bien sûr, mais c’est aussi au praticien de faire des recommandations. Et là, vous soulevez un point important : si vous recommandez l’extraction d’une dent en expliquant qu’une restauration par IC+couronne n’a pas d’avenir, que (ce qui reste de) la dent risque fortement d’éclater ou la restauration de ce desceller, s’infiltrer ou autre… et que vous cédez à la pression du patient qui veut « profiter de sa mutuelle d’entreprise, qui va bientôt s’arrêter et qui prend bien en charge les couronnes » etc. alors c’est votre expertise qui perd en crédibilité. Cela revient à dire : « voilà ce que je recommande mais bon, ok, on va faire l’inverse! »
Je l’ai fait moi aussi, dans mes jeunes années, mais j’ai plus tard réalisé que ça ne menait à rien : de l’argent est dépensé en pure perte et, à terme, les patients perdent confiance dans les recommandations de leur professionnel de santé.
Il faut toujours disposer de critères objectifs de décision : que ce soit pour la conservation ou non d’une dent mécaniquement fragile, l’indication d’une pulpectomie, le recouvrement cuspidien etc. et s’y tenir.
Merci Hugo pour vos questions qui permettent d’insister sur ces points importants.
Merci de m’avoir présenté votre point de vue.
Je profite de cette période que nous traversons et du temps libéré pour « explorer » votre blog, article par article.
Je note la pertinence des sujets abordés et la qualité du style d’écriture.
Merci beaucoup