Certains concepts de la pratique dentaire sont tellement gravés dans le marbre de la science odontologique et dans les inconscients collectifs que plus personne ne pense ou n’ose les remettre en question. Bien que la littérature et les observations cliniques les infirment, ou tout du moins ne les confirment pas, les dogmes ont la vie dure!
On compte pas mal de ces dogmes au sein des disciplines occluso-prothétiques car l’étude du fonctionnement de l’appareil masticatoire a amené beaucoup de cliniciens et de chercheurs à proposer des hypothèses de travail pour permettre les reconstructions prothétiques des arcades dentaires endommagées et/ou édentées.
QU’EST CE QUE LE GUIDE ANTÉRIEUR?
La notion de guide antérieur est basée sur le concept gnathologique de la protection mutuelle, c’est à dire que les dents postérieures devraient être protégées des forces transversales (horizontales) lors des mouvements latéraux de la mandibule. Le postulat étant que les dents postérieures ne tolèrent bien que les forces axiales (verticales) et qu’à l’inverse, les forces de cisaillement sont susceptibles de provoquer toutes sortes de dégâts (usure, fêlures, fractures, atteintes parodontales etc.).
L’idée s’est trouvée confortée par le fait que, lorsque la mandibule effectue un mouvement latéral ou antérieur à partir de la position d’occlusion centrée, on observe une désocclusion soi-disant « protectrice » pour les dents postérieures.
Pour les gnathologistes, les déterminants postérieurs de l’occlusion (ATM) doivent être en harmonie parfaite avec les déterminants antérieurs de l’occlusion (tripodisme, angles cuspidiens, pentes canine et incisive). Amen.
LE GUIDE ANTÉRIEUR EST-IL UNE RÉALITÉ CLINIQUE?
Cliniquement, la première contre-observation notable est que lorsque l’on demande à n’importe quel patient de réaliser ces fameux mouvements de diduction et de propulsion : 1- il a du mal à comprendre ce qu’on lui demande et 2- encore plus de difficultés à les réaliser spontanément et correctement. Ces mouvements semblent donc, à première vue, relativement contre-nature.
La deuxième contre-observation qui frappe encore plus concerne les patients qui sont dépourvus de guide antérieur en raison d’une béance antérieure (open-bite) ou d’un surplomb antérieur (over-jet) ou encore d’une classe III.
D’après la doxa gnathologique, les dents postérieures de ces patients devraient éclater lorsqu’ils mastiquent et seraient condamnés à l’édentement rapide et irrémédiable. Or il n’en est rien! Beaucoup de ces patients parviennent à mastiquer sans problèmes particuliers; certains sont même des chirurgiens-dentistes eux-mêmes!
Troisième contre-observation : la création, au laboratoire, d’un guide antérieur qui semble académiquement correct (désocclusion postérieure en diduction et en propulsion) ne garantit pas la pérennité d’une restauration prothétique. Il nous est arrivé, malgré des réglages poussés du guide antérieur, d’être confrontés à des complications prothétiques, et ce d’autant plus que des implants sont impliqués.
QUELLES ALTERNATIVES AU GUIDE ANTÉRIEUR?
Aujourd’hui, la grande majorité des sociétés scientifiques un tant soit peu sérieuses ont abandonné les concepts mécaniques de la gnathologie pure et dure. Et pour cause : les études des 20 dernières années ont clairement montré que la réalité physiologique des fonctions de mastication, de déglutition, de phonation et de respiration était bien éloignée des concepts théoriques des écoles gnathologistes.
Il existe désormais deux courants :
- La gnathologie fonctionnelle (néo-gnathologie) dont les disciples intègrent les nouvelles données scientifiques issues de la physiologie oro-faciale mais restent attachés à l’étude des déterminants postérieurs de l’occlusion (pente condylienne, angle de Bennett, déplacement latéral immédiat…) et à des valeurs précises de pente canine.
- Les fonctionnalistes qui pensent que la réalité fonctionnelle de la mastication est bien différente. Les mouvements masticatoires sont très variables selon les individus, selon les âges, selon le type de nourriture… Le recrutement musculaire lors de la mastication d’aliments n’est pas le même que lors des mouvements forcés de diduction et de propulsion mandibulaires. Il devient alors illusoire de tenter de régler l’occlusion dynamique sur l’articulateur qui, ne l’oublions pas, ne sait pas mastiquer.
Pour les premiers, la démarche occluso-prothétique peut faire intervenir des mesures axiograhiques, des tracés céphalométriques, des articulateurs totalement programmables tandis que les seconds préfèrent régler l’occlusion dynamique en demandant au patient de mâcher sur des papiers encrés afin d’éliminer les interférences cuspidiennes dans le dernier millimètre avant l’accès à l’OIM, point de départ et d’arrivée des cycles masticatoires.
CONCLUSION
La littérature scientifique moderne n’a pas réussi à valider le concept du guidage antérieur tel qu’il est encore (malheureusement) enseigné :
- Le concept de guidage antérieur ne répond pas aux critères scientifiques basés sur la preuve scientifique.
- Il n’y a pas de supériorité de la fonction canine sur la fonction de groupe.
- Les patients s’adaptent aussi bien à une fonction de groupe qu’à une fonction canine.
- La recherche du guidage antérieur peut conduire à sur-contourer les faces palatines des dents antéro-supérieures ce qui peut, à terme, endommager les dents antagonistes.
- Le recours aux mouvements mandibulaires centripètes (plutôt que centrifuges) permet le réglage des contours linguaux des dents antéro-supérieures.
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A lire également :
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– A Quoi Sert (Vraiment) un Articulateur?
Je crains que la virulence du propos laisse à penser qu’il n’y aurait aucun intérêt clinique à établir ou rétablir un guidage antérieur et à utiliser le guidage canin lors des reconstructions antérieures. Comme toujours, « in medio stat virtus », ces références simplifient les reconstructions, autorisent leur réalisation au laboratoire sur articulateur et bien évidemment seront peaufinées en bouche par le biais des prothèses transitoires puis plus finement sur les prothèses d’usage. Tant que nous ne maîtrisons pas parfaitement la reproduction de l’occlusion du patient par voie informatique, nos pauvres simulateurs mécaniques restent indispensables. Que le réglage du guide antérieur se fasse via des mouvements centripètes, effectivement plus corrélés à la réalité physiologique, n’autorise pas pour autant l’auteur de cet article a en dénigrer l’intérêt et la réalité clinique dans une grande majorité des cas.
Cher Maitre,
Le but de cet article n’est pas de dénigrer telle ou telle manière de faire mais de proposer un point de vue alternatif, tout au plus polémique, sans virulence aucune.
La critique que l’on peut faire au guide antérieur est d’ordre conceptuel. Nous devrions plus volontiers parler de réglage du « chemin d’accès » à l’OIM et cela implique, non seulement, un réglage de la morphologie des faces palatines des dents antéro-supérieures mais aussi des versants cuspidiens des dents postérieures.
Nos points de vue ne sont certainement pas opposés car j’observe également des marques d’occlusion sur les canines lorsque je règle les trajets d’accès à l’OIM lors de la mastication. Car le test primordial que se doit de passer n’importe laquelle de nos restaurations est bien celui de la mastication dont la physiologie ne coïncide pas avec la méthodologie de réglage du guidage antérieur. Même s’il est réglé selon les règles académiques, la grande variété des rapports inter-incisifs et des cycles de mastication peut malgré tout générer des forces de friction importantes entre les dents antérieures et générer des contraintes également sur les dents postérieures. Comment expliquer d’ailleurs les éclats de céramique fréquemment observées sur les prothèses implantaires alors que la désocclusion canine semble idéale?
L’articulateur reste un outil indispensable – je vous rejoins totalement – mais essentiellement pour recréer l’OIM et l’esthétique du sourire dans une position mandibulaire de référence choisie. Pour la dynamique, et à défaut de mieux, c’est dans la bouche du patient en position assise (tel que décrit dans le dernier lien) que l’on pourra le mieux approcher la réalité de la mastication.
C’est dans les années 1990 que j’ai décrit le concept NMC dont l’acronyme signifie : Neuro-Musculo-Compatibilité.
Les observations cliniques constantes m’avaient incité à accepter l’organisation fonctionnelle installée chez mes patients qu’elle soit leur morphologie de classe 1 2 ou 3 pourvu que les trajectoires diductives et de réengrennement sollicitent de façon appropriée sans mouvement erratiques la musculature masticatoire et ce quelles que soient les dents guides.Il y a donc compatibilité entre les dents guides et la sollicitation musculaire
Depuis longtemps l’articulateur ne me sert qu’à retrouver une relation statique de l’OIM ou de la RC en l’absence totale de dents.
Cher Jean-Pierre,
Votre commentaire confirme les échanges que nous avons pu avoir précédemment : nous sommes sur la même longueur d’onde!
Même avec un guide antérieur des plus « efficaces », l’accès à l’OIM lors de la mastication peut être perturbé par des cuspides qui s’entrechoquent. La réponse biologique adaptative du système stomato-gnathique dépendra du maillon faible. Si les muscles sont les plus forts, des facettes d’usure fonctionnelles apparaîtront sur les dents (postérieures et/ou antérieures) et pourront se compliquer d’hyperhémies pulpaires, de fêlures, de fractures…. Si les muscles sont les plus faibles, un dysfonctionnement musculaire va s’initier…
Rien n’empêchera le sytème d’assurer sa fonction première : l’alimentation. L’adaptation est une merveille mais elle a tendance à maquiller l’étiopathogénie des problèmes que nos patients nous demandent de résoudre.
Merci pour votre participation à cette réflexion.
Bonjour et merci pour cet article !
Pourriez-vous expliquer cette phrase SVP : « Le recours aux mouvements mandibulaires centripètes (plutôt que centrifuges) permet le réglage des contours linguaux des dents antéro-supérieures ».
Merci encore :)
Bonjour Hugo,
et merci pour cette question que je vais préciser :
A chaque fin de cycle de mastication, la mandibule fait un mouvement centripète (de l’extérieur vers l’intérieur) pour accéder à l’OIM (qui le point de départ et d’arrivée du cycle masticatoire). Lors de ce mouvement, il peut y avoir une friction des dents antérieures mandibulaires sur les faces linguales des dents antérieures maxillaires. Pour cela, on demande au patient de faire un exercice de mastication en interposant entre ces dents du papier encré épais (200 microns). Les mouvements ainsi obtenus sont différents des mouvements centrifuges « classiques » de latéralités.
J’espère avoir bien répondu à votre question.