Nous avons vu dans la première partie de cet article que l’argent pouvait induire de fortes distorsions cognitives et qu’il pouvait compliquer l’exercice de la médecine. Le cabinet dentaire n’échappe pas à la règle et dans l’imaginaire collectif, le chirurgien-dentiste, en plus d’être sadique, est richissime.
Car la pratique de la chirurgie-dentaire dans les pays développés fait intervenir des personnels hautement qualifiés, des matériaux et des plateaux techniques de plus en plus sophistiqués et donc de plus en plus couteux. L’intervention des tiers-payeurs (Sécurité Sociale, mutuelles…) complique encore les liens que doivent entretenir les praticiens et le flux monétaire. La question des coûts et des honoraires est souvent au centre des débats avec les patients et les autorités de tutelle.
COMBIEN GAGNE UN CHIRURGIEN-DENTISTE?
La profession dentaire, selon la CNSD, qui cite la CARCD, tire les revenus suivants de l’exercice de l’Art :
- Pour 41500 praticiens en 2013, Le revenu mensuel moyen, est de 7 700€.
- Mais plus de 4 praticiens sur 10 gagnent au mieux 3 200€/mois.
- 1 praticien sur 10 déclare des revenus supérieurs à 15 849€ /mois.
Chacun jugera de cette moyenne et de ces écarts-types mais en cliquant ici, on comprend que les revenus des professionnels de santé doivent faire l’objet d’une analyse plus fine pour être réalistes.
Mais avec un revenu moyen qui stagne depuis 2008 et une hausse des charges couplée à l’inflation fiscale et réglementaire, l’exercice de la profession dentaire a des raisons de se sentir menacée. Les praticiens et, nous le verrons, les patients qui reçoivent les soins, ont tous des raisons de s’inquiéter.
QUAND L’ARGENT DECIDE DU TRAITEMENT
En médecine comme dans n’importe quel autre domaine, l’argent pose un problème éthique.
Pour nous aider à réfléchir, prenons un exemple concret :
Un patient, à qui il manque 4 dents, a besoin d’implants. A l’examen clinique, vous remarquez d’emblée que l’état parodontal du patient est dans une situation de délabrement évolutif. Le patient et le correspondant attendent de vous que émettiez un avis et un devis pour la mise en place chirurgicale de quatre implants et rien d’autre. Le patient vous est adressé par un correspondant car vous disposez de l’expérience, du personnel et d’un plateau chirurgical pour réaliser correctement ces actes.
Vous êtes, à ce titre, soumis à de lourdes charges de fonctionnement. Vous ne voulez aborder ni le traitement parodontal préalable nécessaire, ni le traitement orthodontique qui pourrait permettre de traiter les égressions et les malpositions pour éviter au patient d’alourdir le coût du traitement, et de peur de le voir, lui et le correspondant, prendre congé. Vous posez donc les implants et encaissez les honoraires sans broncher. « La paro d’accord, mais l’implanto d’abord. »
Les tarifs imposés par la Sécurité Sociale ne changent absolument pas le fond du problème. Point de salut parodontal en dehors du sacro-saint détartrage. Les inlays-onlays sont délaissés au profit de la triade infernale et délabrante de l’endo-inlay core-couronne. Tout cela avait amené le regretté Pr. Michel Degrange à déclarer, lucide, que « les chirurgiens-dentistes français ne font pas de l’odontologie, ils font de la nomenclature. »
La gratuité des soins ne change rien non plus. Dans un précédent article, nous avons vu, à partir du cas d’une patiente disposant de la CMU, que l’évacuation du problème du paiement direct des honoraires ne solutionnait pas tout, loin de là. Et l’on peut légitimement craindre que la mise en place du Tiers Payant Généralisé ne crée plus de problèmes qu’elle n’en solutionne.
QUI PARLE D’ARGENT AU CABINET?
Certains praticiens refusent purement et simplement de parler d’argent directement avec le patient. Cette position est légitime : le docteur doit se consacrer à la médecine, c’est à dire à l’humain, au vivant, à la science, à la thérapeutique…
Mais le cabinet dentaire, pour subsister, pour rétribuer son personnel, pour s’équiper, a besoin de surveiller et gérer ses finances. Beaucoup de praticiens font le choix d’embaucher une assistante dont la mission est de traiter les aspects financiers des traitements directement avec les patients.
Cette méthode de délégation présente un double avantage :
- Le patient est beaucoup plus précisément informé du montant des honoraires, des remboursements qui lui seront alloués, des dates auxquelles les honoraires devront être versés etc. Cette clarification administrative et financière, accompagnée de facilités de paiement le cas échéant est appréciée par les patients et oriente dans le sens d’une meilleure acceptation des plans de traitement.
- Le praticien se consacre à son coeur de métier : la relation humaine « pure », le diagnostic, l’élaboration du plan de traitement et la réalisation des traitements. Il gagne du temps et de la sérénité.
Avec la généralisation des tiers-payants, aucun doute que cette assistante dédiée aux questions d’argent aura du pain sur la planche!
CONCLUSION
Nous avons vu au fil de ces deux articles que chacun – médecin ou patient – entretient un rapport particulier avec l’argent en fonction de l’importance qu’il occupe dans son esprit et dans son existence : Comment le gagner? Combien en gagner? Comment l’utiliser?
Une réflexion sur les rapports entre la médecine et l’argent devraient inciter les praticiens à trouver et à garder le bon équilibre mais aussi à bien définir les dangers et les dérives qui le guettent.
La confiance que nous accordent les patients passe naturellement par le paiement des honoraires mais nous oblige, tout aussi naturellement, à une éthique professionnelle à toute épreuve que Jeffrey Okeson résume ainsi :
« Demandez-vous toujours ce qui est bon pour votre patient, pas ce qui est bon pour votre cabinet.«
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