A la fin des années 1980, dans le Nord de l’Italie, naissait le mouvement Slow Food®, en réaction au « fast food » et aux méthodes de production industrielles à bas coûts. Le but étant de promouvoir une alimentation de qualité et un retour aux valeurs fondamentales de la gastronomie et de l’agriculture.
Ce mouvement a depuis pris une ampleur internationale et a fait des émules y compris en dentisterie…
TIME IS MONEY
Car la dentisterie – et plus largement l’art médical – doit, depuis plusieurs années maintenant, faire face aux attaques incessantes de toute une bande de productivistes (coachs, associations de consommateurs, directeurs de centre de santé, assureurs, directeurs de caisse, ministres…) qui, pour toujours faire baisser les coûts et maximiser les marges ne font que prôner l’accélération des cadences des producteurs de soins. Avec, en ligne de mire, l’utopie d’un taylorisme appliqué à la santé où tout acte médical serait froidement rationalisé, chronométré, et où la médecine ne serait qu’une industrie comme toutes les autres. Malheureusement pour eux, la réalité est un peu différente…
Prenons l’exemple d’une première consultation pour laquelle il faut – en théorie – du temps pour l’écoute des motifs de consultation, pour l’historique des soins, l’analyse du questionnaire médical, l’analyse du questionnaire dentaire, l’examen clinique et l’observation, les examens complémentaires, le diagnostic, les explications, répondre au questions etc. Combien de temps cela prend?
Autre exemple : une séance de maintenance en implantologie pour laquelle il faut – en théorie – du temps pour vérifier que l’état de santé général du patient n’a pas changé depuis la dernière visite, les éventuels symptômes, une observation clinique méthodique du parodonte, des tissus péri-implantaires, des tissus dentaires, un nettoyage prophylactique suivi d’un polissage soigneux, un contrôle minutieux de l’occlusion etc. Combien tout cela dure-t-il?
Et même, au delà d’un certain seuil, l’accélération des cadences augmente le risque d’erreurs (de diagnostic et de réalisation) et génère plus d’insatisfaction aussi bien de la part des producteurs (fatigue, burn-out…) que des usagers (douleurs, infections, complications, échecs…).
SLOW DENTISTRY
« Say NO to 30 minute dentistry! »
Dr Miguel Stanley
En 2010, partant du principe que pour bien faire les choses, il faut prendre le temps, l’excellent Dr Miguel Stanley a décrit le tout aussi excellent concept de Slow Dentistry® et qui repose sur 4 piliers :
- Du temps pour l’anesthésie : nous avons déjà vu dans des articles précédents que pour que l’anesthésie (et donc le confort du patient pendant les soins) soit obtenue il faut que l’injection se fasse lentement et que le délai d’installation soit respecté. Cela peut aller jusqu’à 15 ou 20 minutes dans certains cas et réduire ce temps c’est augmenter le risque de douleurs per-opératoire, post-opératoires, de perdre le patient voire de le voir développer une véritable phobie vis à vis des soins dentaires.
- Du temps pour poser la digue : le champ opératoire – lorsqu’il est indiqué – est un moyen simple et diablement efficace pour améliorer la qualité de la procédure, la sécurité du patient et le confort de travail du praticien. Mais sa mise en place demande du matériel, de la compétence et un peu plus de temps.
- Du temps pour la désinfection : la décontamination des surfaces dans la salle de soins, le lavage des mains et la stérilisation du matériel prennent entre 5 et 10 minutes entre chaque patient. Augmenter le nombre de patients par jour et supprimer ce temps indispensable augmente automatiquement les risques d’infections croisées.
- Du temps pour le consentement éclairé : l’accélération des cadences de soins produit nécessairement une médecine où les relations humaines entre le patient et le praticien disparaissent peu à peu. Or, les explications que vous donnez à votre patient sont non seulement une obligation légale mais également un moyen de les mettre en confiance, de les rassurer et de les aider à adhérer au plan de traitement que vous leur proposez.
Dans sa conception, la Slow Dentistry® voudrait qu’un rendez-chez le dentiste ne dure pas moins d’une heure. Car au delà de ces 4 points essentiels, il s’agit d’une véritable philosophie globale de travail visant à replacer le patient au centre du dispositif de soin en lui assurant écoute, explications, confort et sécurité.
Et c’est précisément ce qu’on tendance à oublier les managers et autres administrateurs en santé qui n’intègrent quasiment jamais les risques de complications pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont jamais à les gérer directement lorsqu’elles surviennent.
CONCLUSION
Nous commençons à le voir dans presque tous les domaines de la société : l’accélération des cadences de travail, l’augmentation perpétuelle des rendements, la production a des coûts toujours plus bas… tout cela provoque une perte de sens et produit indéniablement des effets négatifs, voire contre-productifs, sur les travailleurs, sur les clients, sur les sociétés et sur les ressources.
Ralentir, redonner du sens à ce que l’on fait, privilégier la qualité à la quantité… cela demande des efforts, de l’éthique et du courage. Des patients mieux informés, pour des séances plus longues, plus effectives, moins stressantes, avec moins de risque de complications, n’est-ce pas une forme de sagesse?
Pour aller plus loin :
- Le site Slow Dentistry®
- Quelle est la Valeur de votre Temps?
- Etes-vous Productif ou Débordé?
- Piquer sans Faire Mal
- Comment Réussir une Spix à tous les Coups?
très bien dit la dentisterie nécessite une grande patience de la part du praticien et une passion aussi pour pouvoir bien pratiquer ce métier noble où les bons résultats donnent une satisfaction absolue ;)
vœux pieux ! Mais j’adhère complètement . Après il faut choisir son camp mais cela va être certainement plus facile à faire ,vu la dérive du système mais cela sera réservé à une partie de la population. Et comme dit ma consœur; on ne peut pas s’attacher plus à la bouche du patient que son attention pour la sienne et donc , Nous soignerons les motivés, par contre les motivés après traitement qui veulent venir tous les 6 mois pour leur petit détartrage qu’allons nous en faire ?
Cher Dr Garoufalakis,
Merci d’avoir pris le temps(!) de nous faire ce commentaire.
Je partage votre analyse : l’interventionnisme étatique ne fait généralement qu’accentuer le phénomène qu’il cherche à combattre. Le Royaume-Uni en est un exemple flagrant de médecine à deux vitesses. Nous en prenons le chemin.
Concernant les patients motivés dont vous parlez : puisqu’ils sont motivés, pourquoi se limiter à un « petit » détartrage? Pourquoi ne pas mettre en place une vraie démarche prophylactique qualitative?
Fervent défenseur de la lenteur, je tend au quotidien à ralentir le rythme de vie que nous impose la modernité tant dans ma vie professionnelle que personnelle. Selon moi, une meilleure qualité de soin passe par d’avantage de temps passé à écouter le patient, l’informer, le motiver et réaliser les soins appliqués afin de limiter les erreurs et pérenniser les résultats. Une dentisterie plus humaine en somme.
De mon point de vu, avec le risque de décroissance de notre civilisation thermo-industrielle que nous aurons à affronter, qu’il soit imposé ou non, il induira forcément une baisse de l’offre de soin disponible (matériel, consommable, énergie…). La prévention et la réalisation de soins durables et de qualité permettent et permettront de limiter un peu les impacts négatifs sur la population et nos pratiques.
Seulement voilà, malgré l’application des préceptes que vous défendez et que j’approuve, comment faire une transition vers cette dentisterie plus lente, plus humaine, plus »low-tech » et plus qualitative, compte-tenu des impératifs financiers d’un cabinet dentaire actuel, si décroissant soit il? Y a t’il une solution pour faire fonctionner pareil cabinet avec des patients qui ne nécessitent rien de plus qu’un détartrage ou une simple carie demandant tout de même une heure entière afin de revoir avec eux l’importance d’une bonne hygiène de vie et orale? Comment espérer se verser un revenu avec cette approche humaine de la dentisterie?
Si vous disposez d’éléments de réponse ou de personne auprès de qui je peux m’adresser pour persévérer dans cette pratique je suis preneur.
Bonjour Quentin,
et merci pour ce commentaire qui soulève des questions très importantes.
Si tu es d’accord avec ces principes (aussi bien pour ta vie personnelle que professionnelle) alors j’ai envie de dire que le plus difficile est déjà fait! Il ne te reste plus qu’à trouver les méthodes pour les appliquer concrètement.
Selon moi, une dentisterie plus humaine, plus lente et plus qualitative passe par les points suivants :
– d’abord il faut que le cabinet dentaire en tant qu’outil de travail coute moins cher. Ca ne veut pas dire tout « low-cost » mais plutôt faire des investissements réfléchis et rationnels. Ne pas se faire endormir par les vendeurs de rêve ou par les dernières nouveautés du marchés. Achetez du matériel robuste, fiable, que l’on a pas à changer tous les ans. Savoir ce qui est indispensable à sa pratique (et y mettre le prix) et éliminer tout le superflu. Rationnaliser son stock, surveiller ses dépenses.
– ensuite il faut pratiquer une dentisterie qui, avec des leviers simples mais efficaces, produit des résultats puissants en termes de résultats thérapeutiques. Ex : il vaut mieux (à mon sens) établir un protocole d’éducation à l’hygiène bucco-dentaire pour les patients paro que de dépenser xk€ dans un laser. Il faut des protocoles de traitement fiables, solides et scientifiquement valides.
– enfin, il faut insuffler cette philosophie auprès des patients. En passant du temps à les écouter, les examiner correctement, établir de bons diagnostics et de bons plans de traitement, les patients apprécieront et recommanderons le cabinet à leur entourage. Il seront près à payer un peu plus que ce que rembourse leur mutuelle ou la Sécu pour bénéficier de cette approche devenue si rare de nos jours.
Ce ne sont que des pistes de réflexion mais si tu souhaites aller plus loin, je ne peux que t’inviter à suivre un de nos programmes de formation en cliquant ici.