Comment Eviter une Expertise Judiciaire?

Les organismes d’assurances professionnelles le confirment, la sinistralité et les litiges entre des patients et leurs praticiens sont en augmentation continue. La menace d’une expertise médicale judiciaire se fait de plus en plus réelle et de plus en plus angoissante pour les soignants.
Notre confrère et ami, le Dr Serge Sobol nous a laissé faire un résumé du mémoire qu’il a présenté pour l’obtention du Diplôme Universitaire d’Expertise Maxillo-faciale et Bucco-Dentaire intitulé : « Comment Eviter une Expertise Judiciaire?« 

L’intégralité de ce travail érudit et sa réflexion philosophique sont disponibles en téléchargement en cliquant ici.


 INTRODUCTION

Les relations entre les patients et les soignants se sont très nettement tendues. La nature des soins dentaires y est probablement pour quelque chose mais on constate une hausse de la sinistralité depuis plusieurs années et récemment, une de nos consoeurs a été assassinée dans son cabinet par un patient en raison d’un litige portant sur une centaine d’euros.

Pour le praticien, les conflits avec les patients et leurs conséquences potentielles (griefs, plaintes, expertises…) sont particulièrement mal vécus.
Le praticien dispose-t-il de suffisamment d’outils pour prévenir, repérer et désamorcer les conflits ?

LA PREVENTION DU CONFLIT

  • « PRIMUM NON NOCERE »

Selon le serment d’Hippocrate, il semble légitime que les interventions médicales et chirurgicales que nous pratiquons, bien qu’elles soient entreprises dans le but de soigner et/ou de guérir, font toujours courir un risque d’aggravation ou de dégradation de l’état du patient. Les praticiens doivent toujours le garder à l’esprit car l’expérience acquise au fil du temps a tendance à le faire oublier.

  • « CONNAIS-TOI TOI MÊME »

Les techniques médicales évoluent de manière exponentielle. Elles sont de plus en plus complexes et sophistiquées. Pour les maitriser, il faut les étudier consciencieusement et les pratiquer avec la plus grande prudence.

Les praticiens sont également faillibles et l’erreur est humaine. En conséquence, ils doivent connaître leurs propres limites et savoir quand s’abstenir.

  • COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS HUMAINS

La pratique médicale confronte le praticien à l’immense variabilité humaine, y compris celle des profils psychologiques. Nous avons déjà dans ce blog précisé les contours des personnalités qualifiées de « difficiles » : les anxieux, les paranoïaques, les narcissiques, les types A, les histrioniques

Le praticien doit par définition connaitre et comprendre la nature humaine afin de savoir repérer les patients dont la personnalité est atypique, voir incompatible avec la complexité des soins nécessaires. Pour cela, l’empathie est une aptitude qu’il faut développer et renforcer pour pouvoir s’adapter au patient ou bien s’abstenir le cas échéant.

Nous l’avons illustré récemment au travers d’un cas clinique : les litiges naissent toujours d’une incompréhension réciproque.

  • FAIRE LE D.U D’EXPERTISE MEDICALE

Les enseignements qui y sont dispensés étudient les points faibles régulièrement mis en évidence dans les expertises médicales judiciaires : lacunes dans le dossier médical, non obtention du consentement éclairé, compétences et plateaux techniques insuffisants, plans de traitement mal conçus…

A la lumière de cette étude, le praticien pourra d’autant mieux prévenir les litiges et améliorer sa pratique ainsi que les rapports qu’il entretient avec ses patients.

LE CONFLIT ET LES SOLUTIONS

  • SAVOIR DÉDRAMATISER

Lorsque le litige survient, l’attitude du praticien est déterminante dans la tournure que vont prendre les événements. Il est en effet capable, dès l’apparition du problème, de désamorcer le conflit et de faire retomber la pression à condition : d’être à l’écoute des doléances, de montrer du respect et de la considération à son patient, de reconnaitre ses erreurs, accepter de les réparer et d’en assumer les conséquences financières, de rassurer, réconforter, réaffirmer sa mission d’aide et d’assistance.

Cette stratégie peut bien souvent permettre de restaurer le dialogue et d’éviter l’escalade procédurière.

  • PROPOSER UNE EXPERTISE AMIABLE

Mais malgré l’attitude positive du praticien tourné vers la recherche d’une résolution directe du conflit, il est possible qu’aucun terrain d’entente ne soit trouvé. Soit parce que le patient n’accepte pas les solutions proposées, soit parce que le praticien réfute les accusations du patient. La solution consiste alors de proposer une expertise amiable au cours de laquelle chacune des assurances des deux parties va mandater un expert et, ensemble, vont analyser la situation.

L’expertise amiable est une démarche qui, dans la plupart des cas, permet au praticien de montrer qu’il ne se sent pas coupable et qu’il ne craint pas d’être jugé par ses pairs. Le patient, dans les cas où il est par exemple motivé ou manipulé par un tiers médisant, renoncera probablement à maintenir sa plainte et à provoquer une expertise médicale judiciaire.

CONCLUSION

La grande sagesse de notre confrère nous invite à adopter les bonnes habitudes professionnelles qui permettront de prévenir les litiges avec nos patients : un bon dossier médical, une excellente communication, une pratique prudente et une saine reconnaissance de ses limites.
Si l’éventualité d’une expertise médicale judiciaire devait malgré tout se réaliser, ces mêmes règles de bonnes pratiques, à défaut de rendre l’épreuve plus agréable, permettront d’en limiter les conséquences.

Téléchargez le mémoire complet du Dr Serge Sobol.


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5 commentaires sur “Comment Eviter une Expertise Judiciaire?”

  1. charly

    super!
    a quand le « comment éviter un contrôle d’activité sécu? » mon meilleur ami y passe en ce moment et peine pas mal!

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    • thedentalist

      Salut Charles. Excellente idée d’article, mais je crains de manquer de sources fiables sur lesquelles pourrait se baser le lecteur. Nous sommes ici dans le domaine du sacré, voir de la théologie et tu sais comme moi que les voies de la Sécurité Sociale sont impénétrables!! Prions pour que le ciel protège toutes les brebis égarées de la CCAM.
      Amen.

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  2. Dritsch Nicolas

    Comme souvent, les conseils sont très bons.
    J’ajouterai 2 points.
    Tenter de se concentrer sur la proposition de solutions plutôt que d’essayer de convaincre le patient qu’il devrait changer d’avis…lorsque qu’un patient m’exprime son mécontentement j’essaye de lui demander par écrit ce qui ne lui convient pas et à partir de là je lui propose ce que je peux améliorer, ce que je vais essayer d’améliorer sans garantie de réussite, ce qu’il m’est impossible d’améliorer. A partir de là on a au moins une base de travail et souvent ça permet de retrouver la confiance.

    Garder un esprit confraternel. les 2 cas où j’ai été contraint de faire appel à un expert viennent à la base de l’attitude de 2 consoeur/confrère.
    Le premier patient a consulté en urgence un cabinet pendant que j’étais en vacances, il est revenu me voir dans une colère noire en disant qu’il avait vu une dentiste « expert » et que c’était TRÈS GRAVE ce que j’avais fait, qu’il aurait fallu faire autrement…etc. Ça fait drôle surtout quand on soigne le patient depuis 5ans.
    Au final la consœur était aussi experte que moi plombier, sauf que la confiance était brisée, il a fallu demander une vraie expertise qui a permi de revenir à une relation plus saine.
    Le second cas c’est un confrère, ami du patient, qui lui a dit qu’avoir une récession gingivale au niveau d’un bridge maxillaire un an après la pose était anormal et qu’il aurait du se faire soigner chez lui. Le patient a exactement le profil anxiogène cité au dessus. Or ça fait 1an que le patient repousse ses Rdv de réhabilitation mandibulaire postérieure pour raison économique puis de santé (tentative de suicide…) la récession est essentiellement la conséquence de cette situation.
    Heureusement j’ai fait des photos lors des essayages biscuit et de la pose du bridge, pour dire l’état d’esprit du patient, même en voyant ces photos il me dit que j’aurai pu les retoucher…bref dans cette situation j’ai préféré demander l’avis d’un expert pour voir si on peut revenir à quelquechose de plus rationnel.
    Dans les 2 cas on aurait pu éviter cette situation si au minimum les praticiens étaient restés à leur place, avant de se prononcer sur un travail la moindre des choses est d’avoir les éléments pour le faire…on trouve ça insensé lorsque M. Cosnard de Santéclair juge un travail à partir d’une OPT post.op alors évitons de faire la même erreur…

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    • thedentalist

      Bonjour Nicolas et merci de votre intervention. Les deux points que vous soulevez sont importants. Pour le premier : la recherche commune de solutions doit, in fine, dissuader le patient de lancer une procédure judiciaire. Chacun sa méthode mais les principes de dialogue (et donc d’écoute et d’empathie) demeurent.
      Pour le deuxième point, les deux situations que vous relatez sont véritablement navrantes et malheureusement encore trop fréquentes. Elles doivent nous rappeler à quel point il est fondamental de s’abstenir de faire la moindre remarque, le moindre commentaire sur le travail d’un confrère. Des phrases comme « ça peut arriver… » ou « rien n’est simple en médecine… » vous auraient certainement éviter bien des tracas. Cela devrait nous faire réfléchir et surtout faire réfléchir tous ceux qui ont suffisamment confiance en eux, qui ne doutent absolument de rien et qui se prennent pour des redresseurs de tort.

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  3. Julie

    Article très intéressant. merci.
    Moi, j’ai déjà eu affaire à des experts qui ont (inconsciemment ou consciemment) l’impression d’être tout puissants et omniscients. Comme ils sont souvent mandatés par des compagnies d’assurances, il défendent les intérêts financiers de ces dernières et cela les amène parfois à des conclusions d’une extraordinaire rigidité et d’une très grande mauvaise foi. Tout cela au dépend de la vérité factuelle ou scientifique.

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