Dans le précédent article, nous avons passé en revue un certain nombre de situations occlusales atypiques et nous avons souligné quelques précautions qu’il est bon de prendre avant même de s’entretenir avec le patient pour lui faire part de nos conclusions.
Le clinicien sur le point d’entreprendre un traitement s’interroge :
- Puis-je conserver l’occlusion?
- Dois-je corriger l’occlusion?
Et quelle que soit sa décision, d’autres questions découlent des deux premières :
- Dois-je craindre des complications?
- Le patient va-t-il s’adapter?
A ces questions, la science ne propose que peu de réponses fiables. Les pathologies bucco-dentaires étant très souvent multi-factorielles, il est difficile de monter des protocoles d’étude qui réunissent tous les facteurs en présence. De plus, les règles de bonnes pratiques issues des statistiques de l’épidémiologie s’accommodent mal de la grande variabilité des individus qui nous consultent.
Le domaine de l’occlusion dispose de très peu de preuves scientifiques bibliographiques et les cliniciens s’affrontent dans des querelles de clochers :
- Certains disent : Le patient s’est adapté à sa situation occlusale et fonctionne ainsi depuis de nombreuses années donc il ne faut pas changer l’occlusion.
- D’autres répondent : Il faut intervenir et corriger car les malocclusions provoquent des désordres de l’appareil manducateur (DAM).
- Enfin, il y a ceux qui pensent que l’occlusion n’est pas en cause dans l’apparition des DAM.
Qui a raison? Personne. Et si personne n’arrive à répondre à une question, c’est probablement qu’elle est mal formulée.
QUELS SONT LES SYMPTOMES, LES SIGNES ET LES CAUSES?
Le patient décrit des symptômes, le praticien identifie des signes. Et il est impossible de prendre la moindre décision thérapeutique sans avoir évalué précisément les structures et les fonctions d’un système. Etablir un diagnostic, c’est comprendre les causes qui génèrent les symptômes et les signes. Nous l’avons déjà abordé dans un article consacré aux usures dentaires.
En matière d’occlusion, comme pour tout autre patient, l’examen clinique commence par l’évaluation des structures musculaires et articulaires. Sont-elles douloureuses? Sont-elles fonctionnelles?
QUEL EST LE PRONOSTIC?
Le patient peut présenter des signes cliniques mais aucun symptôme. Les signes cliniques peuvent effectivement être la manifestation d’un problème ancien, traité ou non, mais actuellement non évolutif. A l’inverse, le problème peut être actuel et évolutif mais le patient s’adapte. Les signes observés sont le prix biologique de cette adaptation.
- Si le problème est actuel et évolutif : plus le nombre de symptômes et de signes en corrélation avec le problème sont nombreux, plus la situation risque de s’aggraver.
- Si le problème est ancien et non évolutif : un recueil précis des signes cliniques et un suivi périodique doivent permettre de s’assurer de la stabilité du problème.
Dans un premier temps, tous les éléments recueillis au cours de l’entretien et de l’examen clinique doivent être confrontés avec la demande initiale du patient. Si une malocclusion est associée à des symptômes fonctionnels et/ou une demande esthétique, une intervention peut alors être envisagée. Dans le cas inverse, l’abstention peut être envisagée.
Dans un second temps, que l’intervention ou l’abstention soit retenue, le patient doit TOUJOURS être informé de sa situation buccale, des signes qui ont été observés, des causes et des facteurs de risque en présence. Le patient doit :
- comprendre ce que le praticien constate,
- comprendre ce qui peut arriver s’il ne fait rien,
- comprendre les options de traitement, leurs avantages et leurs inconvénients.
EXEMPLE N°1
Cas d’un patient de 43 ans présentant une forte supraclusion et nécessitant la pose d’une coiffe prothétique sur la 22. Aucun symptôme et aucune autre demande associée. On note des bruits articulaires et des signes d’usure fonctionnelle marqués sur les incisives mandibulaires. Le pronostic des incisives mandibulaires et de la restauration est réservé.
Le patient a été informé de la nature et du caractère évolutif de la malocclusion ainsi que des risques de surcharges mécaniques sur la coiffe prothétique. Il refuse d’envisager une correction orthodontique. La coiffe est réalisée, l’occlusion inchangée.
EXEMPLE N°2
Patient de 51 ans, chirurgien-dentiste, consulte pour un inconfort occlusal et des douleurs musculaires occasionnelles. La béance antérieure semble stable, sans incidence esthétique. L’examen des ATM est normal.
L’origine de la béance est linguale et n’a jamais pu être ré-éduquée. Le traitement orthodontique est contre-indiqué. Seule une équilibration occlusale a été réalisée pour optimiser la fonction mandibulaire et répartir au mieux les contraintes sur les dents postérieures.
EXEMPLE N°3
Patiente de 43 ans qui consulte pour demande esthétique. De nombreux signes de pathologie occlusale sont recueillis à l’examen clinique alors que la patiente n’exprime aucun symptômes dans ce domaine. Des investigations complémentaires sont nécessaires pour préciser le diagnostic fonctionnel. Un traitement occluso-articulaire devra être envisagé avant toute manœuvre irréversible de dentisterie restauratrice.
EXEMPLE N°4
Patiente de 44 ans qui consulte pour une amélioration esthétique de son sourire altéré par d’anciennes prothèses fixées et une forte supraclusion. Dans la mesure où un grand nombre de dents doivent être restaurées, nous avons décidé de lever la supraclusion en augmentant la dimension verticale d’occlusion. Cela permet d’améliorer le pronostic des dents antérieures (déjà usées à la mandibule), l’esthétique du sourire et le positionnement mandibulaire.
CONCLUSION
- Sans symptôme ou signe musculo-articulaire, les malocclusions ne doivent pas être considérées comme des maladies. Au pire, ce sont des facteurs de risque pour l’apparition d’autres problèmes.
- Sans symptôme et sans demande spécifique du patient, l’optimisation ou l’abstention peuvent s’envisager.
- Toujours se demander si le problème constaté est ancien/stabilisé ou actuel/évolutif
- Le patient doit toujours être informé de sa situation, des risques potentiels et des options thérapeutiques existantes.
- Toujours évaluer le rapport bénéfice/risque d’une intervention ou d’une non-intervention sur l’occlusion.