La pratique quotidienne nous confronte à des situations bucco-dentaires parfois très préoccupantes, pour ne pas dire désastreuses. Face à des tableaux cliniques de caries multiples ou de maladies parodontales avancées, bien des praticiens sont tentés d’imputer la responsabilité de ces pathologies au patient lui même et de pointer du doigt sa négligence. C’est une très grave erreur! C’est même une double erreur…
UNE ERREUR SCIENTIFIQUE
La recherche médicale et la compréhension des mécanismes étio-pathogéniques des maladies chroniques ont littéralement révolutionné la vision que nous avons des pathologies bucco-dentaires. On a pensé pendant des décennies que les bactéries étaient les seules responsables et que si le patient développait un problème, c’était la conséquence d’une hygiène insuffisante. Donc le patient était toujours coupable.
Aujourd’hui, tout amène à penser que c’est un terrain déficient qui permet le développement d’une pathologie. Les maladies parodontales sont liées à une fragilité génétique, à une défaillance des mécanismes de défense ainsi qu’à une exacerbation de la réponse inflammatoire, qui conduisent à la destruction parodontale plutôt qu’à la seule présence de bactéries buccales qui, ne l’oublions pas, est inévitable.
Concernant la maladie carieuse, le problème vient d’un pH intra-buccal trop bas et d’un déficit de facteurs protecteurs (par exemple la salive) qui ont pour conséquence une selection des espèces bactériennes les plus acidophiles et les plus cariogènes.
« Le microbe n’est rien, c’est le terrain qui est tout. »
– Claude Bernard
Vu sous cet angle, la seule négligence du patient ne peut pas expliquer le décalage entre la sévérité des lésions et les relativement faibles scores de plaque dentaire. Ces patients sont considérés comme étant « à risque » et les stratégies thérapeutiques doivent, en plus de l’élimination des pathogènes, se concentrer sur les moyens de renforcer les défenses de l’hôte et de ré-équilibrer l’écosystème buccal.
UNE ERREUR RELATIONNELLE
Culpabiliser les patients ne vous mènera à rien sur le plan relationnel et va même nuire à la relation thérapeutique. Le patient, qui s’interroge sur le problème dont il souffre, doit comprendre que la vie est injuste et que tous les individus ne sont pas égaux face à la maladie. Certains patients ne se brossent jamais les dents, fument et n’ont aucun problème parodontal alors que d’autres ont une hygiène tout à fait satisfaisante, sont non-fumeurs et développent malgré tout une parodontite agressive.
Notre rôle de soignant n’est pas de juger mais d’expliquer et de soigner. Cette attitude et ce discours positifs permettent d’instaurer un dialogue beaucoup plus constructif et les patients y seront sensibles, surtout s’ils ont déjà consulté des praticiens qui, au lieu de les aider, les ont engueulés! Les conseils et les traitements prodigués seront d’autant plus respectés et suivis que vous faites preuve de bienveillance à leur égard.
La vue clinique présentée au début de cet article est celle d’un patient de 40 ans, ancien toxicomane, et souffrant d’une forte peur des soins dentaires qui l’a amené à repousser jusqu’à l’extrême ses soins dentaires. Les lésions carieuses et parodontales sont sévères. Négligence ou susceptibilité?
- La dépendance aux drogues dures touche préférentiellement des personnes fragiles neurologiquement et socialement.
- La dentophobie est la première cause de renoncement aux soins et trouve souvent son origine dans des expériences de soins dentaires traumatisantes dans le passé.
La doxa du thérapeute bien ,bien .Mais à un moment il faut responsabiliser car si nous entreprenons des thérapeutiques compliqués et coûteuses, la réhabilitation et sa pérennité ne pourront être assurées que par un bon comportement vis à vis de soi ,mais souvent le fait d’entreprendre ces traitements est déjà un signe de volonté de guérison de la personne ,emphatie oui , »sympathie » non .
Nous soignons une toute petite partie de la personne ,le déséquilibre physique est souvent l’expression d’un déséquibre émotionnel plus profond ,dont nous n’avons pas tous les tenants et aboutissants scientifiques . Et certainement à mon sens nos traitements macroscopiques sont encore très moyen-âgeux loin de la micro bla-bla que nous serine nos revue professionnelles.
Bonjour glikis et merci beaucoup pour ce commentaire.
Vous avez touché du doigt toute la problématique de ce sujet : responsabiliser n’est pas culpabiliser, empathie n’est pas sympathie, compliance n’est pas négligence… Je suis totalement d’accord avec vous.
Il ne s’agit pas de négliger la responsabilité du patient mais simplement de ne pas l’engager trop tôt. Il faut partir du principe que les patients sont des profanes et qu’ils n’ont pas réellement conscience de mal faire les choses. Prenons l’exemple de l’hygiène bucco-dentaire et des soins parodontaux : si après explications et démonstrations individualisées, le patient ne suit pas rigoureusement les recommandations, cela relève de sa responsabilité et le praticien peut légitimement se désengager du traitement.
Vous avez également raison lorsque vous dites « Nous soignons une toute petite partie de la personne ,le déséquilibre physique est souvent l’expression d’un déséquibre émotionnel plus profond » mais j’apporterai un nuance en remplaçant « souvent » par « parfois ». Car inversement, des patients que l’on aurait pu juger comme irrécupérables sont très sensibles à nos explications et à nos conseils et ils y souscrivent de manière très positive. L’attitude du praticien, de même que ses mots (phénomène d’induction), s’ils sont adaptés à l’interlocuteur peuvent avoir un impact très fort.
Il ne faut donc pas juger a priori et grâce à une attitude neutre, le tri se fait automatiquement entre les patients qui sont capables de (se) guérir et ceux qui en sont incapables, quelque soient les efforts que nous pourrions fournir.
Qu’en pensez-vous?
Je n’ai pas très bien compris votre dernière phrase : qu’entendez-vous par « micro bla-bla que nous serine nos revue professionnelles »?
Toujours un plaisir de revenir sur ce site.
J’aimerai simplement ajouter que c’est une erreur stratégique sur le plan neuropsychologique, domaine que nous n’abordons malheureusement pas durant nos études alors que c’est fondamental pour créer des changements comportementaux.
Si l’on reprend l’exemple ci dessus il existe des ambivalences comportementales. Pour faire simple on va prendre le schéma cérébral de MacLean.
Les phobies et comportements liés à l’apprentissage dans l’enfance prennent leurs naissances dans le cerveau reptilien.
Les comportements redondants liés à des mauvais souvenirs font références au système limbique.
Les comportements rationnels, imaginatifs, résolutifs…au cortex orbito frontal.
Contrairement à ce que l’on aimerait, l’être humain agit la plupart du temps à partir des deux niveaux neurologiques les plus profonds.
Dès lors, juger son comportement sous entendrait qu’il a agit de manière consciente avec l’intention de faire mal. Erreur fondamentale.
Le patient sait très bien que ça n’est pas bien de se droguer, de fumer, de ne jamais consulter un chirurgien dentiste…(il l’a certainement entendu maintes fois et il l’expérimente au quotidien avec des douleurs, des problèmes relationnels, d’estime de soi…) mais s’il a eu des mauvais souvenirs ou des expériences qui ont imprimé à partir du periventricular system l’amygdale il est totalement vain d’invoquer le cortex pour créer un changement comportemental, c’est la clé de la survie de l’espèce.
Une personne mordue violemment par un chien n’aura que faire de savoir que 99.9% des chiens sont adorables…
Ainsi le praticien en jugeant, raisonnant, faisant la leçon au patient…sauf à se faire plaisir lui même, agit de manière contre productive et négativement sur les 3 niveaux:
Au niveau du cortex, car comme dit prédémment le patient est souvent conscient de ne pas avoir agi comme il le fallait, le fait qu’une autre personne le lui dise en position haute ne fait que créer des résistances au changement, c’est justement une manière de lui enlever des compétences et le déresponsabiliser.
Au niveau du système limbique en lui rappelant des situations infanlisantes, or c’est un adulte.
Au niveau du cerveau reptilien en engandrant des sentiments de culpabilité et de honte qui ne font que renforcer les comportement d’inhibition de l’action.
Depuis que l’on a prouvé l’élasticité du cerveau, les thérapies cognitivo comportementales tentent de créer des trajets parallèles et la stratégie est souvent la même:
Créer du lien en reconnaissant le monde de l’autre et en valorisant le comportement (j’ai cru comprendre que vous avez beaucoup souffert de cette situation, c’est admirable d’avoir eu les ressources d’endurer les souffrances morales et physiques liées à cette situation…)
Donner du sens à l’angoisse (peur d’avoir peur) pour passer sur des niveaux inférieurs sur lesquels on peut agir (anxiété puis stress), exemple
« j’ai une angoisse rien qu’à l’idée de prendre RDV »,
« qu’est ce qui vous angoisse? »
« Tout!! »
« Vraiment tout? Même mon stylo et la peinture des murs? » (On le pousse à chercher ce qui lui fait peur afin de revenir sur des niveaux rationnels)
« J’ai eu tellement mal quand j’avais 9ans… »
« Vous avez peur d’avoir mal alors? »
« Oui, c’était horrible »
« Sur une échelle de 0 à 10, c’est quoi une douleur acceptable? »
« 3 ou 4 »
« Peut on s’entendre sur le fait que si un jour vous ressentez pendant les soins une douleur supérieure ou égale à 4 vous pourrez stopper la séance immédiatement sans vous en expliquer? »
Etc…
Je travaille en centre hospitalier avec notamment des patients dits phobiques et j’ai de moins en moins besoin du meopa grâce à ce que j’ai appris en psychologie systémique et cognitivo comportementale.
Vraiment dommage que l’on ait aucune notion à la fac sur ces points fondamentaux.
Cher Nicolas,
Je souscris totalement aux notions sur lesquelles vous insistez. Nous plaidons, vous et moi, pour une meilleure compréhension des comportements et des mécanismes neuro-biologiques qui les sous-tendent. Henri Laborit (à qui nous avons consacré un article et une chronique de livre) répétait qu’il n’y peu de chance que le monde ne change tant que les humains ne comprendront pas vraiment les mécanismes qui sont à l’oeuvre dans leurs cerveaux.
Le présent article visait à souligner l’erreur, mais aussi les résultats contre-productifs, de la culpabilisation des patients. Beaucoup de nos confrères, ne doutant de rien (ou presque) usent et abusent de cette méthode, pensant que cela va créer une sorte d’électrochoc dans la tête de celui ou celle qui l’écoute… En réalité, ils prennent un sérieux risque de voir les patients ainsi culpabilisés, voire infantilisés, quitter leurs cabinets au profit de praticiens ayant une meilleure compréhension des sciences dites Humaines.
L’anxiété vis à vis des soins dentaires est, même si les mécanismes neuro-psychologiques sont les mêmes, un problème qui nécessite une approche plus spécifique. Nous y avons aussi consacré un article.
Merci pour les informations fondamentales que vous avez apporté.
Au plaisir de vous lire.