The Dentalist a choisi de traduire et d’adapter en français un texte intitulé « Comment sont payés les docteurs? » et qui a été largement diffusé et partagé sur les réseaux sociaux. Ecrit par le Dr. M. Lewis, médecin généraliste aux U.S.A, il offre une mise en perspective assez parlante – pour ne pas dire criante – de ce que nous réserve le tiers-payant généralisé et le soi-disant « progrès » qu’il constitue.
Imaginez que vous décidiez d’aller dans votre restaurant préféré. Vous êtes accueillis à l’entrée par l’hôtesse qui vous installe à une table et prend la commande de vos apéritifs. Alain, votre serveur préféré, vient alors prendre votre commande et vous recommande le menu du jour : des côtelettes d’agneau accompagnées d’une salade, une tarte fine au chocolat en dessert. Après quelques instants, votre repas est servi et c’est un délice. Vous avez tout votre temps pour le savourer. Puis, l’addition vous est apportée et vous payez, avant de rentrer chez vous, repus et satisfait. Disons, pour faire simple, que vous avez payé 40€ pour ce repas : 15€ pour le plat, 5€ pour la salade, 10€ pour le dessert et 10€ pour les boissons et le café.
Un changement s’opère dans le domaine de la restauration. Le gouvernement a décidé que désormais le droit de se restaurer serait un droit opposable. Votre restaurant favori a donc dû établir des contrats avec plus de 30 « compagnies d’assurance-restauration ».
Impatient de renouveler l’expérience, vous retournez dans votre restaurant favori avec votre toute nouvelle « Carte Vitale-Restauration ». A l’entrée : personne : vous devez patientez dans la salle d’attente du restaurant. Après une heure d’attente, malgré que vous ayez pris le soin de réserver, Alain, débordé, vous installe à une table et prend immédiatement votre commande. La nourriture arrive à votre table et vous commencez à manger. Après la deuxième bouchée, Alain vous informe que « vous devez libérer la table rapidement» car elle a été réservée par d’autres personnes. Vous êtes accompagnés vers la sortie en tenant vos « doggy-bag » à la main.
Mais qu’est-il donc arrivé à ce restaurant? En coulisse, le patron a dû s’adapter aux réalités de ce « nouveau système ». Au cours du premier mois de la convention avec les assurances, le patron a télétransmis les justificatifs des repas à 40€. Le contrat passé avec la compagnie d’assurance stipule que le prix des côtelettes est plafonné à 10€ mais le patron du restaurant se laisse convaincre par l’argument que grâce aux conventions, il verra une augmentation de la fréquentation de son établissement par de nouveaux clients.
La première tentative de tiers-payant pour le repas à 40€ échoue avec la réception d’un avis de non-paiement en raison d’une « codification erronée ». En effet, les formulaires de télé-transmission des compagnies d’assurances exigent du restaurateur qu’il renseigne les plats, non pas par leur nom, mais par des codes alpha-numériques. Le patron a mal renseigné le code de la salade. Ne disposant d’aucun manuel d’accompagnement, le patron du restaurant doit s’inscrire à une formation payante (500€) pour apprendre à coder correctement ses plats. Ces formations doivent être renouvelées annuellement en raison du changement permanent des codes de transpositions. Le patron du restaurant a donc appris que le code de la salade accompagnant les côtelettes est 723.13 et pas 723.1 comme il l’avait mentionné. En effet, comme la salade est un accompagnement, son code doit comporter deux chiffres après la virgule pour la distinguer des plats principaux qui ne comportent qu’un seul chiffre après la virgule. Le patron du restaurant télé-transmet de nouveau son formulaire de tiers-payant.
En guise de réponse, le restaurateur ne reçoit pas de paiement mais un questionnaire détaillé : Est-ce que de l’ail a été utilisé pour assaisonné les côtelettes? L’ail est-il indispensable à la réalisation de cette recette? Est-ce que le restaurant a demandé l’autorisation d’utilisation de l’ail auprès de la compagnie d’assurance avant de servir les côtelettes? Pourquoi ne pas avoir utiliser du sel, condiment moins couteux? Le restaurateur remplit et renvoie le questionnaire en insistant que l’ail constitue le secret de cette recette familiale transmise de génération en génération.
Le restaurateur attend donc une semaine de plus (et cela fait maintenant 3 semaines que le repas a été servi). Le paiement est finalement effectué trois semaines et demi après que le repas ait été servi et il n’est que 8,73€ correspondant aux côtelettes. Il est accompagné d’une lettre spécifiant que le paiement de la salade ne peut avoir lieu sans qu’aucune explication ne soit donnée. Aucune mention n’est faite concernant le dessert et les boissons.
Un peu frustré et légèrement en colère, le restaurateur décide alors de contacter l’organisme par téléphone. Après avoir été mis en relation avec cinq personnes différentes (la quatrième lui expliquant que la compagnie d’assurance qu’il cherche à joindre a fusionné avec un autre groupe d’assurance et que les numéros de téléphone ont changé la semaine dernière, désolé…!), le restaurateur en vient à demander pourquoi les côtelettes ne sont remboursées que 8,73€ alors que le contrat stipule qu’elles doivent être remboursées 10€? Et qu’en est-il du remboursement de la salade, du dessert et des boissons?
Il s’avère qu’en réalité, le contrat souscrit par le client-assuré ne rembourse les 10€ des côtelettes que lorsque les cotisations du client-assuré dépassent le montant de la franchise, ce qui n’est pas encore le cas. Le paiement de la somme restante est sujet à une demande directe du restaurateur à l’assuré.
Concernant le paiement de la salade, il aurait pu être effectué si l’assuré-client en avait fait la commande un jour différent de celui de la commande des côtelettes. Il est, en effet, impossible de coter un plat et son accompagnement le même jour (page 35/114 du contrat).
Pour le dessert, la cotation doit faire appel à un code d’association spécifique pour pouvoir donner lieu à une prise en charge.
Réalisant que les tiers-payant sont décidément difficiles à gérer au quotidien, notre restaurateur décide de faire appel à un organisme collecteur, qui facturera 5% de toutes les sommes recouvrées pour vérifier que les demandes de tiers-payant ne comportent aucune erreur de codification et s’assurer du suivi des refus de paiements. Et moyennant 99€/mois supplémentaires, cet organisme collecteur pourra contrôler que les formulaires de tiers-payant envoyés par le restaurateur ne sont pas retardés par des erreurs de secrétariat de la compagnie d’assurance.
En raison de ses frais supplémentaires, le patron de restaurant doit licencier l’hôtesse d’accueil et le voiturier dont les charges de travail respectives sont désormais transférées aux autres employés du restaurant. Ainsi, le serveur, en plus de son travail habituel, doit désormais répondre au téléphone aux demandes croissantes des clients-assurés qui veulent savoir pourquoi ils reçoivent des factures concernant des repas qu’ils ont mangé il y a plus de deux mois, et pourquoi leur assurance-restauration ne prend pas en charge telle ou telle partie de leur repas? Cette surcharge de travail se traduit par un allongement des délais d’attente des clients-assurés dans la salle d’attente du restaurant et un mécontentement des serveurs qui se plaignent « de ne pas avoir recrutés et formés pour cette tâche ».
Le patron du restaurant réalise à présent que sur un repas facturé 40€, il n’est remboursé que 8,73€. Les 32,27€ restants sont à la charge de l’assuré-client. Après trois courriers de relance (dont les deux premiers sont restés sans réponse), le restaurateur se rend à l’évidence : il va devoir faire appel à une société de recouvrement des impayés et que les frais engendrés non strictement rien à voir avec la cuisine ou les services fournis aux clients de son restaurant.
Le service au sein de son établissement a d’ailleurs passablement souffert de ces changements politiques. Le patron du restaurant doit suppléer au rôle de son serveur, qui était un excellent serveur par ailleurs, et doit en plus répondre au téléphone et installer les clients à leur table.
Pour continuer à gagner sa vie à cuisiner et à accueillir des clients, le restaurateur doit désormais accueillir deux fois plus de clients-assurés qu’auparavant dans la même période de temps. Ce qui était autrefois une remarquable activité professionnelle dédiée à la gastronomie et à l’hôtellerie, s’est transformée en une activité essentiellement dédiée à l’éternelle réclamation de son dû.
J’aimerais que cette histoire soit pure fiction, hélas, elle ne l’est pas. La seule part de fiction réside dans le fait qu’il ne s’agit pas de votre restaurant préféré mais de votre cabinet médical dont la responsabilité n’est pas de satisfaire vos désirs gustatifs mais vos besoins de santé.
Megan Lewis,
Docteur en Médecine
Médecin familial de campagne dans le Colorado.
Pour lire le texte original : cliquez ici.
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Si toutes ces prédictions s’avèrent exacte, alors on aura d’autres choix que le déconventionnement, il ne reste plus qu’à la profession de s’organiser afin de généraliser non pas le tiers payant mais le déconventionnement. Quel intérêt y a t-il à être conventionné lorsque les remboursements sont dérisoires ou imposent des tarifs qui à eux seuls ne peuvent financer les conditions de qualité minimale de réalisation d’un soin? Devons-nous accepter cela? Car pour les mêmes tarifs de soins, il faudra payer effectivement des organismes concentrateurs qui n’auront pour seul fonction d’assurer l’efficacité de la bureaucratie, donnant encore plus d’argent à la bureaucratie et moins pour les soins. On avait avant la bureaucratie d’état, on aura la bureaucratie d’état + la bureaucratie privée, ce n’est pas ça le libéralisme. En tout cas, lorsque la situation deviendra clairement intolérable, j’espère avoir le courage de me déconventionner.
D’accord avec toi Nicolas !!! Il faudrait avoir le courage de se déconventionner !! Et ainsi échapper au dictat de l’état !!!
Excellente analyse du monde dans lequel on nous entraine. J’ai 68 ans, je regrette de devoir dire » de mon temps, c’était mieux ». Ils sont fous, ces Romains, Reste à chercher à qui profite cette folie. En tout cas, certainement pas aux professionnels ni à moi, à la fois client, patient … et payeur.
Pharmacien à la retraite , je reconnais bien là , la vie quotidienne du pharmacien avec le tiers payant !!!
Sidérant…!
Autant d’années d’études et de concours d’entrée pour cela ????