5 Enseignements de la Nouvelle Convention Dentaire

Le 1er Avril 2019, les chirurgiens-dentistes conventionnés devront appliquer la nouvelle convention signée avec l’Assurance-Maladie le 21 juin 2018.

Cette nouvelle convention élaborée à la hâte pour répondre à la promesse politique du président Macron d’une baisse du reste à charge sur les soins et les prothèses dentaires, censé redonner une partie du pouvoir d’achat qui fait cruellement défaut à une partie croissante de la population.
Dans le même temps, cette nouvelle donne conventionnelle est sensé préserver « le potentiel de croissance des cabinets dentaires » grâce à une revalorisation hypothétique des soins conservateurs.

Qualifiée d’historique par les différents signataires, on nous promet, bien évidemment, des lendemains qui chantent…

1- OMNISCIENCE ET OMNIPOTENCE

La mise en place de la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) qui a remplacé, en juin 2014, l’obsolète et incomplète Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP) était le préambule pour un contrôle absolu de l’Assurance Maladie sur les actes qui sont réalisés par les praticiens.

Avec la nouvelle convention, l’Assurance Maladie s’arroge aussi le droit de déterminer ce qui fait partie des données acquises de la Science et ce qui n’en fait pas partie.
Quand on connait la rapidité d’évolution du savoir et des techniques médico-chirurgicales et qu’on la compare à l’inertie de la bureaucratie…

Autre aspect du même problème : c’est l’Assurance Maladie qui fixe les « prix ». Outre le fait que la Santé soit le seul domaine où l’Etat fixe le « prix de vente » du travail médical, les impératifs budgétaires de l’Etat ne sont pas les mêmes que ceux des cabinets où les soins sont prodigués.
Exemple : la mise en oeuvre des matériaux d’obturations en résine composite est particulièrement délicate et sensible au respect du protocole de collage. C’est très long, c’est très difficile et pourtant, le niveau des honoraires et le strictement le même que pour l’amalgame d’argent ou les verres ionomères.

2- LA LENTE AGONIE DE LA PROTHESE FRANCAISE

Le but annoncé de cette nouvelle convention étant de réduire la proportions des actes prothétiques dans l’activité des cabinets, c’est tout l’activité de prothèse qui a été remaniée.

On constate d’abord la grande confirmation du métal en prothèse conjointe. A l’heure où ce sont les matériaux tout-céramique qui ont la préférence des patients et des praticiens en raison de leur rendu esthétique supérieur et de leur meilleure intégration biologique, la nouvelle convention fait la part belle au couronnes coulées et métallo-céramiques. Les prothèses tout céramique monobloc font certes leur apparition pour les dents antérieures mais les plafonds annoncés ne laissent pas présager des résultats cliniques de haut niveau…

Ensuite, on observe avec une grande inquiétude le plafonnement intégral de la prothèse adjointe sous quasiment toutes ses formes, de la réparation à la réalisation. Ces plafonds, de l’aveu des maitres-prothésistes français, sont inférieurs au coûts de production des laboratoires implantés en France et qui subissent, comme toutes les PME, une hausse permanente de leurs charges et de leurs contraintes réglementaires.

Là encore, quand on sait la rigueur et les difficultés que demande la discipline prothétique, on est en droit de craindre pour l’avenir de la filière française (Made in France Vs Made in Bangladesh?) d’une part, et d’autre part pour la qualité des dispositifs qui seront mis dans la bouche des patients.

©Dr JC Bonnet

3- L’USINE A GAZ ADMINISTRATIVE

La délicieuse lecture des 147 pages de cette nouvelle convention laisse entrevoir la phénoménale usine à gaz administrative dont ont encore accouché nos brillants technocrates.
Jugez plutôt : 3 paniers de soins prothétiques différents qui démultiplient les codes pour un seul et même acte, eux-mêmes démultiplié en fonction de la localisation de la prothèse sur l’arcade du patient et du type de matériau choisi… tout cela dans le cadre joyeux du devis conventionnel bien sûr!

Établir un devis pour un patient va devenir un véritable chemin de croix : trouver les bons codes, traiter les retours des mutuelles en fonction de leur statut d’assuré sans compter ceux des patients qui n’y comprendront rien… Le choc de simplification tant espéré n’aura évidemment pas lieu, c’est même le contraire qui se produira.

Au final, ce sera plus de temps consacré à la charge administrative et (encore) moins de temps à soigner car désormais, coter un bridge est devenu plus difficile que de réaliser un bridge!

4- LE CONTRÔLE VA S’INTENSIFIER

« Plus il y a de lois et plus il y a de hors-la-loi. »
Lao-Tseu

Tous les praticiens libéraux en ont récemment fait l’agréable expérience : la Sécu a lancé une vaste procédure de contrôle portant sur les détartrages qui, comme tout le monde le sait, ne sont encore et toujours que le seuls actes de parodontologie inscrit à la CCAM, et ne peuvent être cotés par le même praticien et pour le même patient, que deux fois par année civile.

Quel plaisir alors que de recevoir ses contraventions par pli postal, de se voir notifier ses moindres délits de cotation (parfois à une journée près), d’entrevoir dans le verbiage administrativo-juridique la possibilité de prouver sa bonne foi et d’être sanctionné malgré tout car, comme chacun sait, il plus facile pour la furie administrative de s’abattre sur les honnêtes gens que sur les vrais délinquants. Et ce d’autant plus que les caisses de l’Etat sont désespérément vides.

Mais en complexifiant ainsi les règles de cotation, il est logique que les erreurs de cotation soient plus faciles et plus nombreuses, permettant ainsi aux contrôles dentaires de s’en donner à coeur joie et a posteriori -c’est à dire une fois que les soins auront été réalisés- pour remettre en cause soit les codes utilisés, soit la pertinence, soit la preuve du choix thérapeutique.
Quel que soit l’argument choisi, c’est le praticien qui devra se justifier et surtout rembourser l’indu.

5- LA POLITIQUE : MODE D’EMPLOI?

A deux mois de l’échéance, personne à la Sécu n’est en mesure de fournir le moindre mode d’emploi sérieux à cette nouvelle convention. Personne ne sait non plus si les logiciels professionnels seront prêts et opérationnels au jour J.

En attendant, les praticiens inquiets sont invités à payer (encore et toujours) pour suivre des formations sur le sujet, dispensées par les syndicats professionnels.

On attend avec impatience les vaillants petits soldats de l’administration qui monteront, penauds, au front des cabinets libéraux, pour tenter de leur apporter des explications embarrassées et de jolis formulaires bureaucratiques et colorés. Et comme à chaque fois, devant l’incompréhension -pour ne pas dire la colère- des professionnels de santé ils ne manqueront pas de leur déclarer : « Vous savez, je n’y suis pour rien moi. »

CONCLUSION

Dans un contexte politique et social extrêmement tendu, les buts annoncés de la nouvelle convention sont nobles et légitimes :

  • réduire le reste à charge sur la prothèse et favoriser l’accès au soin à une part croissante d’assurés sociaux
  • sortir du « tout prothèse » et permettre à une dentisterie plus conservatrice d’émerger
  • favoriser les actes de prévention

Soit. Mais pour paraphraser Albert Einstein, les problèmes de l’ancienne convention ne pourront pas être solutionnés par le système qui les a créé. Tout le monde s’entendait sur le fait que ce sont les plafonds sur les actes conservateurs, maintenus à des niveaux ridiculement bas pendant des décennies, qui ont conduit à l’envol des tarifs de prothèses.

Et devinez quelle solution nous apporte l’Assurance Maladie : rien de mieux que de nouveaux plafonds, étendus à encore plus d’actes!


A lire également : 

(Visité 1 fois, 1 visites aujourd'hui)

8 commentaires sur “5 Enseignements de la Nouvelle Convention Dentaire”

  1. Nicolas Dritsch

    « Vous savez, je n’y suis pour rien moi. »
    Je sais que l’on partage la pertinence des propos d’Henri Laborit sur la manière dont les hiérarchies de dominance s’auto-organisent.
    Dans un système bureaucratique, ceux qui prennent les décisions ne reçoivent à aucun moment les rétroactions de leurs décisions, ce sont en effet des gens beaucoup plus bas dans l’échelle hiérarchique qui doivent s’y coller et bien entendu les patients et soignants qui au final payent l’addition
    Or je trouve que cette dilution des responsabilités est une des clés de voute de la déliquescence de la démocratie sanitaire, bien loin de la belle promotion qu’en fait l’ARS
    https://www.ars.sante.fr/quest-ce-que-la-democratie-sanitaire-10
    (Faudra que tu m’expliques comment publier un lien comme il se doit :)
    J’ai abordé ce manque de rétroaction indispensable au fonctionnement démocratique lors d’une intervention pour les ccdeli il y a tout juste un an:
    https://www.youtube.com/watch?v=639jsSxCCwU&t=796s

    J’ai pu aussi participer modestement au dernier dossier sur Clinic de Février sur le sujet.

    Bien à toi,

    Nicolas

    Répondre
    • thedentalist

      Cher Nicolas,
      merci une nouvelle fois pour tes commentaires de très grande qualité (et dont les liens hypertextes sont parfaits!).
      Je partage évidemment ton point de vue sur la déliquescence des systèmes d’administration, par essence fermés comme tu l’expliques très bien dans ta vidéo. Je pense même être encore plus sévère tant la Bureaucratie sanitaire que l’on nous impose ne brille que pas son cynisme, sa lourdeur et son inefficacité et dont la finalité est bien loin des buts annoncés.
      L’Administration et le monde Libéral arriveront-ils un jour à s’entendre et à se comprendre? Dans le premier, la hiérarchie qui prime et chacun doit veiller à excuser les ordres, qu’ils soient sensés ou non, émanant de ses supérieurs hiérarchiques. Alors que dans le second, c’est la Responsabilité individuelle qui est a l’honneur. Cette dilution de la Responsabilité individuelle est, je pense, un des grands maux dont souffre notre démocratie et qui agite aujourd’hui toutes les classes sociales de notre pays. Les lois, les réformes, les circulaires se succèdent et, en cas de fiasco, il est facile d’en constater les dégâts mais impossible d’en identifier les responsables politiques (qui n’ont d’ailleurs que le mot de « Responsabilité » à la bouche!).

      Merci pour tes initiatives personnelles de rétroaction qui, comme les articles de ce blog j’espère, apporteront quelque chose dont nous avons cruellement besoin : du Bon Sens!
      A bientôt j’espère.

      Répondre
  2. salomon

    Bonjour Guillaume,

    Je partage malheureusement complètement ton avis.

    As tu des solutions pour nous garantir de sortir de cette aliénation ?

    Personnellement, à part un déconventionnent massif qui entrainerait beaucoup de faillites, mais qui permettrait de reprendre le contrôle de notre métier. Je ne vois pas de solution.

    Répondre
    • thedentalist

      Salut Guillaume et merci pour ton commentaire.
      Le rapport qu’ont les praticiens avec la Sécu en France est très ambivalent, pour ne pas dire paradoxal. C’est à la fois un rapport de dépendance (puisque pendant des décennies les remboursements assuraient l’activité des cabinets) et un rapport de soumission (puisque la Sécu nous impose ses directives). Mais la Sécu est-elle aussi indispensable pour que nous puissions remplir notre mission? Je pense que non car je constate que les patients sont de plus en plus conscients des dérives (déficit chronique, lenteur, inefficacité, traitements inadaptés…) de cet organisme d’Etat et la défiance croissante vis à vis des politiques et de l’Administration n’y est pas étrangère. Et c’est logique : le décalage entre les promesses politiciennes et la réalité du fonctionnement des administrations est désormais flagrant.
      Alors, quelles solutions? Vu le niveau d’unité et de courage de la profession, je ne crois pas qu’un déconventionnement massif ait lieu un jour. En revanche, la rigueur clinique et le renforcement de la confiance que nous accordent les patients permettra de privilégier le/les traitement(s) les plus adaptés au patient afin de faire passer les cases rigides de la Sécu pour ce qu’elles sont : des carcans désuets et illogiques qui n’ont jamais amélioré la santé bucco-dentaire de personne!

      Répondre
  3. Senese Grégoire

    Bonjour chers confrères français,

    Je travaille en Belgique et ce n’est pas mieux.
    Nous sommes un peu moins sous la pression de l’ordre car nous n’en avons pas, mais l’administration est aussi très pénible. 9 ministres gèrent notre sécu !

    Néanmoins, tout ceci nous fait sortir de notre mission de départ : le patient et sa santé dentaire.
    Nous sommes dupés par l’administration qui refuse de prendre sa responsabilité vis-à-vis de cette santé et des conséquences de ses procédures dans d’autres buts que cette santé individuelle.

    Dans les chiffres, la santé dentaire des Belges et des Français est la plus mauvaise d’Europe.

    Aucune prévention n’est faite et il n’y a pas vraiment d’auxiliaires de soins (hygiéniste) pour aider les patients et regarder sans juger les travaux pas chers et vite faits des professionnels reconnus par les hautes autorités ont placés dans certaines bouches au mieux qu’ils pouvaient avec la misère des honoraires reçues.

    Pourquoi les patients en Suisse ou en Lituanie auraient droit à une meilleure santé?
    Ont-ils la chance d’avoir des autorités plus compétentes et centrées sur le résultat et le long terme?

    Très cordialement,
    Grégoire de Bruxelles

    Répondre
    • thedentalist

      Bonjour Grégoire et salut à tous nos confrères belges!
      « …des autorités plus compétentes et centrées sur le résultat et le long terme? »
      C’est ce qui nous fait défaut à tous, malheureusement. Mais le jeu politique n’est, à mes yeux, qu’un jeu de dupes et c’est perdre son temps que d’attendre que tout cela change. Les enjeux sont trop complexes, les caisses des Etats sont trop vides, le temps politique trop long et le temps médiatique trop court…
      Il faut, comme tu le dis très bien, nous recentrer sur notre mission de départ : le patient et sa santé dentaire. Nous sommes les seuls, à savoir ce qu’il faut faire (et comment le faire) pour qu’un individu retrouve, ou maintienne, sa santé bucco-dentaire. A nous (praticien + patient) de nous en donner les moyens. Trop d’intermédiaires sont venus polluer la relation thérapeutique que nous avons avec nos patients : Sécurité Sociale d’Etat, Assurances complémentaires, Ordre, syndicats, Hautes Autorités de je ne sais quoi… Cela suffit! Re-centrons nous sur le colloque singulier, l’entente directe avec le patient. Ethique et Indépendance (tant qu’il en reste un peu) sont et resteront les meilleurs moyens pour que les malades soient bien soignés. Il me semble…

      Répondre
  4. salomon

    merci pour ton retour Guillaume,

    Je ne pense pas qu’un déconventionnent massif ne fonctionnera, pour les mêmes raisons que tu évoques. Ce qui est dingue, c’est que nous sommes les experts et que nous nous sommes faits complétement avoir par quelques vendus, une poignée d’énarques et des lobbyistes, brique après brique, ils ont mis leur plan en application :

    – rendre les mutuelles obligatoires
    – plafonner la première mutuelle
    – vendre une sur-complémentaire

    Ils ont optimisé les flux entrants.

    Puis ils optimisent maintenant les flux sortants en rendant non-rentable le traitement le plus onéreux et le plus fréquent pour leurs poches, voir en supprimant le remboursement de certaines thérapeutiques comme aux US avec les chimiothérapies.

    Les patients, peu à peu, deviennent esclaves des mutuelles, car ils sont obligés de cotiser, de suivre les recommandations des mutuelles pour pouvoir payer leurs soins. Les mutuelles développent des réseaux de soins pour soigner à moindre prix leurs adhérents, en optimisant les contraintes financières pour les patients.

    Les mutuelles deviennent maintenant les gros clients du dentiste et donc imposent leurs lois.

    Ils finissent par nous affaiblir en nous divisant.

    Notre plus grande faiblesse est de ne pas nous unir.

    A bientôt

    Répondre
    • thedentalist

      Guillaume,
      Le constat que tu fais est implacable. C’est la réalité non avouée des décideurs politiques.
      Je n’ai pas de recette toute faite mais les concepts de résistance non violente ou de désobéissance civile me semblent être appropriés. A chacun de mes patients, je délivre un petit speech, clair et concis, sur ce que je pense de la Sécu, des mutuelles et des technocrates du Ministère de la Santé. En général, tout le monde est d’accord et chacun prend ses responsabilités. A titre d’exemple, j’utilise parfois une comparaison assez parlante : depuis leur apparition, les hypermarchés ont littéralement écrasé les petits commerçants et producteurs. Aujourd’hui, une part grandissante de la population ne leur fait plus confiance (scandales sanitaires, mise à mort des producteurs, conditions de travail…), à tel point que les résultats économiques de ces grands groupes marquent le pas. Le consommateur prend petit à petit conscience de certaines choses et se retourne vers les petits producteurs, en direct, quitte à payer un plus cher que chez Leclerc mais avec une meilleure qualité à l’arrivée.
      Tôt ou tard, cette mascarade des politiques de santé produira ses effets – au pire catastrophiques, au mieux peu satisfaisant – pour les patients qui reviendront tout naturellement vers des docteurs dignes de confiance.
      Courage, et Résistance!

      Répondre

Réagissez à l'article

Vous pouvez utiliser ces balises: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>