La dernière version du congrès de l’ADF qui s’est tenu fin novembre à Paris avait pour thème central : la Révolution Numérique. Sur l’exposition, la grosse poussée de fièvre des industriels en faveur d’outils numériques en tous genres était palpable. Et dans la presse professionnelle, on voit se multiplier les cas cliniques illustrant les nouvelles possibilités de la dentisterie numérique.
Le praticien qui suit l’actualité scientifique ou qui reçoit la visite régulière de commerciaux lui vantant les avantages des nouvelles technologies est tiraillé entre deux sentiments : l’angoisse de ne pas participer à cette nouvelle ère de la dentisterie et l’angoisse de devoir faire des investissements extrêmement coûteux s’il veut s’équiper.
Alors, allez-vous passer au numérique dans votre cabinet?
LES NOUVELLES PERSPECTIVES
A l’instar du boom des technologies de l’information, les possibilités numériques appliquées à la médecine et à la chirurgie dentaire sont vertigineuses :
- ODF : la numérisation/modélisation des structures cranio-dento-faciales et des dispositifs de traitement permet d’améliorer la précision diagnostique et thérapeutique.
- Chirurgie maxillo-faciale et implantologie : l’imagerie numérique 3D, couplée à la fabrication de guides chirurgicaux, permet d’améliorer la précision du geste chirurgical.
- Prothèse : les empreintes optiques et la Conception Fabrication Assistée par Ordinateur (CFAO) ouvrent la voie à une nouvelle ère de la prothèse dentaire.
- Diagnostic : les données cliniques des patients vont être de plus en plus numériques. Le développement des logiciels d’aide au diagnostic va permettre de calculer et quantifier les besoins de traitement.
Pour développer toutes ses potentialités, la dentisterie numérique doit parvenir à un couplage total de toutes les machines et de tous les acteurs : Appareil d’imagerie – Scanner Oral – Station d’usinage. Les sociétés ci-dessous proposent des solutions globales permettant de réunir l’imagerie numérique et la CFAO :
- Sirona : historiquement connue pour avoir développé le système CEREC.
- Planmeca : leader de l’imagerie qui propose désormais des solutions ouvertes « all in one ».
- Carestream : spécialiste de l’imagerie et des solutions informatiques (le logiciel Trophy).
LA CHAINE PROTHÉTIQUE NUMÉRIQUE
Nous avons déjà abordé dans un article consacré à la zircone, en quoi consistait la Conception Fabrication Assistée par Ordinateur (CFAO). Beaucoup de praticiens utilisent la CFAO sans le savoir puisque leur laboratoire est probablement déjà équipé et usine déjà des armatures faisant appel à ces nouveaux procédés technologiques.
Aujourd’hui on distingue 3 types de chaines numériques en prothèse dentaire :
- CFAO Indirecte : c’est la CFAO de laboratoire. Le praticien réalise une empreinte conventionnelle, qu’il envoie au laboratoire. Après la coulée du modèle de travail, celui-ci est numérisé par scanner et la conception de la prothèse se fait sur ordinateur (CAO) qui va ensuite commander une machine-outil pour usiner la pièce souhaitée (FAO).
- CFAO Semi-Directe : Elle fait intervenir un Scanner Intra-Oral (SIO) pour réaliser la prise d’empreinte au cabinet. Cette étape permet de générer un fichier informatique (.stl) modélisant la situation anatomique du patient, transmis au laboratoire pour CAO et FAO.
- CFAO Directe : L’ensemble de la chaine de fabrication se déroule au cabinet. En plus d’être équipé d’un SIO, le cabinet dispose d’une station d’usinage (CEREC, Planmill 40) sur place. On se passe complètement du travail du laboratoire car la pièce prothétique est fabriquée en un temps très court. La préparation, l’empreinte optique, la conception, la fabrication, le maquillage, la pose et l’ajustage peuvent être réalisés au cours d’un seul et même RDV.
Les avantages de ces techniques sont considérables :
- La précision de l’usinage des pièces surpassent clairement la précision d’ajustage des pièces réalisées selon les méthodes traditionnelles. La reproductibilité des travaux permet de réduire la part de l’erreur humaine.
- Les nouveaux centres d’usinage permettent d’usiner un grand nombre d’éléments simultanément, améliorant ainsi la productivité et la rentabilité.
- Les SIO permettent de réaliser des empreintes optiques plus rapides, plus précises et plus confortables, sans avoir recours aux matériaux d’empreinte traditionnels. Demandez à vos patients s’ils seraient heureux de ne plus avoir à subir cette épreuve, et vous obtiendrez un plébiscite!
LES PROBLEMATIQUES DU NUMÉRIQUE
Cependant, tout n’est pas aussi rose que ce que veulent nous faire croire les industriels :
- Coût de l’équipement : il reste encore rédhibitoire sauf si vous exercez en cabinet de groupe et que tous les praticiens sont d’accord pour faire un achat groupé. le coût dépend évidemment du type d’équipement choisi et il vaut mieux réfléchir avant d’acheter. Ne pas oublier non plus d’inclure les coûts liés à la maintenance des machines et à la mise à jour des logiciels.
- Encombrement, bruit, vitesse (de scannage, de conception, d’usinage) : les équipements sont encore relativement volumineux et bruyants (concernant les stations d’usinage), d’autant plus que la surface du cabinet ou du laboratoire est limitée. La vitesse de scannage des SIO est un point à considérer au moment de faire son choix (de quelques secondes à plusieurs minutes). Même s’il est certain que les fabricants vont progressivement améliorer les caractéristiques, une réflexion s’impose.
- Modèle physique de travail : En CFAO semi-directe, à moins de ne réaliser que des éléments pleins, unitaires ou de très petite étendue et maquillés en surface, le principal problème au laboratoire est la réalisation d’un modèle de travail physique pour repositionner l’armature usinée et monter la céramique cosmétique.
Ce modèle doit nécessairement être fabriqué par impression 3D ou par usinage. Et tous les prothésistes vous le diront : cela augmente les coût de production qui peut alors dépasser celui de la CFAO indirecte. L’expansion des solutions de CFAO directe pourra également nécessiter d’embaucher, au sein du cabinet dentaire, un personnel dédié au maquillage des pièces prothétiques et au suivi des flux numériques. - Ouverture des systèmes / fichiers STL : la technologie ne pourra réellement se démocratiser que lorsque les échanges de données numériques (issues de l’imagerie, des scanners intra-oraux ou de la conception thérapeutique) pourront se faire électroniquement entre les orthodontistes, les implantologistes, les chirurgiens-dentistes restaurateurs et les prothésistes de laboratoire. Cela suppose que les architecture des différents systèmes soient compatibles et ouverts.
- Surtraitement : la principale finalité thérapeutique des technologies numériques dentaires (hormis l’ODF) est restauratrice par essence. D’où la tentation que pourraient avoir certains praticiens peu respectueux des indications, de sur-traiter pour amortir les lourds investissements réalisés.
CONCLUSION
Dans les années 90, les premiers téléphones GSM sans fil ont commencé à être commercialisés. Les pionniers de cette voie ont fait l’acquisition d’équipements volumineux, encombrants, lourds, couteux et peu performants. Les années 2000 ont vu l’explosion du secteur et la démocratisation au plus grand nombre. A partir de là, les appareils n’ont cessé de se miniaturiser et d’offrir de nouvelles fonctionnalités dont nous aurions bien du mal à nous passer aujourd’hui.
Plus de 30 ans après l’intuition et les travaux géniaux du Pr. François Duret, la révolution numérique semble bel et bien en passe de conquérir le monde de la dentisterie. Tous les spécialistes s’accordent pour dire que la vraie question n’est pas de savoir si oui ou non nos cabinets passeront au numérique mais plutôt de savoir quand.
Pour aller plus loin :
– Guide de la CFAO dentaire édité par le CNIF des prothésistes dentaires
– Thèse de doctorat du Dr S. Dusseaux : La Révolution Numérique au Cabinet Dentaire (Nancy,2014)
intéressant