Les Arracheurs de Dents sont-ils (Tous) des Menteurs?

Nous avons tous, un jour, eu à faire face à la remarque ou la plaisanterie d’un ami ou d’un patient nous traitant non seulement d’arracheur de dents mais par là même de menteur; les deux termes étant devenus indissociables.

L’occasion de rechercher les origines de cette expression idiomatique et de se questionner sur les différentes formes de mensonge qui peuvent s’immiscer dans la pratique de la chirurgie-dentaire.

ORIGINES DE L’EXPRESSION

L’expression « menteur comme un arracheur de dents » daterait du XVIIème siècle, du temps où les chirurgiens-barbiers, considérés comme les premiers praticiens de l’art dentaire, pratiquaient, sur les places publiques et dans les foires, sans anesthésie. Ils étaient donc obligés de mentir pour convaincre les malades que les extractions seraient sans douleurs.

Nous avons déjà parlé, dans un article consacré aux chirurgiens-dentistes célèbres, d’Henri Mourguet, chirurgien-barbier lyonnais du XXème siècle et créateur du Théâtre de Guignol. Cette création avait été en lien direct avec sa pratique car elle lui servait à détourner l’attention des patients pendant la réalisation des actes.

D’autres langues européennes utilisent des références dentaires pour désigner la personne qui ment sans scrupules :
Aux Pays Bas : « Liegen als een tandentrekker » : menteur comme un arracheur de dents.
En Espagne : « Ser un sacamuelas » : être un arracheur de dents.
Au Portugal : « Mentir com quantos dentes tem a boca » : mentir avec toutes les dents de la bouche.
Au Royaume-Uni : « To lie through one’s teeth » qui signifie mentir aux travers de ses dents.

« Personne n’est plus détesté que celui qui dit la vérité. »
Platon

VÉRITÉ OÙ ES-TU?

Comment expliquer, alors que les techniques d’anesthésie permettent aujourd’hui des soins sans douleur, que cette expression perdure? Peut être parce que certains membres de la profession ont un rapport « particulier » avec la vérité. Ils ne sont pas les seuls en ce bas monde, certes, mais contrairement aux professionnels de la politique (pour ne citer qu’eux), le mensonge en odontologie est relativement aisé pour deux raisons :

  1. Personne d’autre que l’odontologiste n’y voit quelque chose
  2. Personne d’autre que l’odontologiste n’y comprend quelque chose

A partir de là, libre à chacun de raconter ce qui lui plaira entre :

  • la vérité, toute la vérité, rien que la vérité (si tant est qu’elle existe),
  • ce qui l’arrange,
  • et le mensonge éhonté.

Nous l’avons vu dans un article précédent : les patients attendent de nous que nous leur disions la « vérité » dans le sens où elle conditionne toute la confiance qu’ils vont nous accorder et par voie de conséquence, l’adhésion aux plans de traitement que nous leur proposons.
Mais la vérité est – et restera – très difficile à établir : la science odontologique étant une science humaine en perpétuelle évolution et par définition inexacte. La vérité d’hier est souvent le mensonge d’aujourd’hui et le vérité d’aujourd’hui sera probablement un mensonge demain. De plus, chacun peut affirmer haut et fort qu’il dit la vérité alors qu’il ne s’agit que de sa vérité subjective, résultante des interactions entre son milieu, son histoire et ses expériences personnelles.

LES FORMES INSOUPÇONNÉES DU MENSONGE

Dans ce contexte, le praticien peut très rapidement s’arranger avec la réalité et lui donner la couleur qu’il souhaite afin de s’éviter des efforts, des justifications, des pertes financières, des ennuis…

Et même s’il n’a pas l’intention de mentir, le praticien peut assener à ses patients des contre-vérités, fake news et autres bullshit, sans même s’en rendre compte. Exemples :

  • « Vos gencives saignent : faites des bains de bouche. »
  • « C’est de votre faute si la couronne est tombée. »
  • « Le remplacement de cette deuxième molaire est indispensable, voire vital! »
  • « Les implants : c’est à vie! »
  • « Je ne vois rien qui explique cette douleur. Ce doit être dans votre tête. »

Voici quelques exemples mémorables de patients nous ayant rapporté des formes outrancières de mensonge :

Exemple de mensonge par incompétence : en raison d’une dent cassée, une patiente de 35 ans a consulté un nouveau praticien suite au départ en retraite de son dentiste de famille. La dent cassée en question, dévitalisée et restaurée avec un énorme amalgame, a besoin d’être couronnée. Là, la patiente s’exclame qu’elle ne peut pas recevoir de couronnes! « Ah bon? Mais pourquoi donc? » interroge le praticien. « Et bien parce que mon ancien dentiste a fait plusieurs couronnes à ma mère et qu’elles sont toutes tombées. Notre ancien dentiste nous a dit que ce problème était génétique et donc que moi même, je ne pourrai pas avoir de couronne qui tienne. »

Exemple de mensonge par appât du gain : un patient de 23 ans ayant souhaité un deuxième avis parodontal suite à la consultation d’un soi-disant parodontiste. Ce dernier, après avoir mis en évidence des bactéries buccales sous un microscope, lui avait annoncé brutalement qu’il souffrait d’une grave maladie des gencives et qu’il allait perdre toutes ses dents si il ne réalisait pas, et dans les plus brefs délais, le traitement parodontal préconisé (et ce pour la modique somme de 3000€!).
Le bilan parodontal que nous avons réalisé ne montrait aucun facteur de risque parodontal, aucun antécédents familiaux, un bon niveau d’hygiène, aucune perte d’attache ni clinique, ni radiologique. Les faibles saignements des gencives ont été solutionnés par un renforcement des méthodes d’hygiène et une séance de nettoyage prophylactique.

Exemple de mensonge médiatique (fake news) : Le site de streaming en ligne Netflix a récemment ajouté à son catalogue un documentaire intitulé Root Cause qui diffusait la (fausse) rumeur que les traitements canalaires provoqueraient des maladies graves tels que des cancers, à grand renfort de témoignages de chirurgiens-dentistes profitant de cette aubaine pour faire la promotion de leurs méthodes alternativo-holistico-malhonnêtes. Suite aux plaintes de nombreux experts et sociétés scientifiques, le documentaire a été retiré de Netflix mais reste malheureusement disponible sur d’autres plateformes de streaming.

CONCLUSION

Dans un monde où il devient de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux, où tous les mensonges sont permis pourvus qu’il servent les intérêts de ceux qui les profèrent et où dire la vérité est même passible de poursuites (donneurs d’alerte), la question du mensonge se pose avec encore plus d’acuité.
Dans la pratique médicale, nous avons déjà eu l’occasion de dire et d’écrire que le mensonge n’avait pas sa place. Chaque praticien doit respecter le sens de la parole donnée, ses devoirs l’éthique et le professionnalisme qu’impose son titre de docteur.
La grande majorité des chirurgiens-dentistes sont hommes et des femmes honnêtes et attachés à ses valeurs. Mais comme il (très très) facile de glisser de la certitude au mensonge, mieux vaut toujours rester dans le doute.

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2 commentaires sur “Les Arracheurs de Dents sont-ils (Tous) des Menteurs?”

  1. Françoise Lombardi

    bonjour l’article a eu le mérite de me faire rire; j’en avais besoin car depuis plusieurs semaines, je ne m’amuse plus beaucoup…à cause de mes dents. Je n’ose plus sourire car le composite mis pour obturer 2 dents devant a jauni .je reviens chez mon dentiste qui me dit il faut couronner, inlay percer visser et puis quoi encore? non je ne veut pas de ferraille mes racines sont bonnes. je vais en voir un autre puis un autre, les techniques proposées et les devis gonflent à vue d’œil et toujours pas de solution bien que j’explique je veux juste recouvrir la dent pas de bridge ou autre je peux encore garder mes dents qq années tout ça pour de simples facettes ça ne semble pas les intéresser!!ça devient pire que chez le garagiste c’est juste embrouiller pour tirer maximum de fric!! dommage pour eux j’ai trouver la solution…à l’étranger bien fait et pas trop cher, ça vous apprendra à nous prendre pour des c…!

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    • thedentalist

      Chère Madame,
      Ce site étant réservé aux professionnels de l’art dentaire, votre commentaire aurait normalement dû être rejeté. Cependant, une fois n’est pas coutume, nous avons jugé que votre témoignage est très représentatif des maux dont souffre notre profession et qu’il colle parfaitement avec le sujet de cet article. J’espère sincèrement qu’il fera réagir mes confrères et collègues.
      Quant à votre projet de partir vous faire soigner à l’étranger, nous ne pouvons que vous souhaitez de bien tomber car, ici comme ailleurs, le pourcentage de personnes incompétentes et/ou mal-intentionnées est le rigoureusement le même.
      Bien à vous.

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