Le Syndrome du Sauveur

Suite à un récent article consacré à l’empathie et ses limites, nous continuons d’explorer la psychologie du soignant au travers d’un syndrome complexe qui nous touche à des degrés variables : celui de vouloir sauver l’Humanité.

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LES ORIGINES

La plupart des médecins ont choisi leur beau métier par vocation : celle d’aider les autres, aider et soigner, l’altruisme etc. Et c’est une bien noble motivation dans un monde où, aujourd’hui plus que jamais, les comportements individualistes font de l’Homme un loup pour l’Homme.

Mais sous toute motivation altruiste, on retrouve presque toujours une motivation narcissique : c’est par l’aide qu’il procure, les soins qu’il prodigue et la gratification (matérielle et/ou sociale) qu’il en tire que le soignant se voit renvoyer un reflet positif, conforme à l’image qu’il a de lui même.

L’étude psychologique (et dans certains cas psychiatrique) de ce phénomène montre qu’il s’agit en réalité d’un besoin de reconnaissance pour panser des blessures inconscientes. Pour certains d’entre nous, le constat que certains patients ne puissent pas être guéri ou tout du moins soigné est un échec insupportable, une remise en question totale de sa raison d’exercer et parfois même de sa raison d’être.

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LES RISQUES

Le syndrome du sauveur peut faire courir un certains nombre de risques à celui ou celle qui n’en aurait pas conscience :

  1. Surcharge de travail : un cabinet dentaire pourrait virtuellement être ouvert 24h/24, 7j/7. La demande et les besoins sont inépuisables. Si vous ne fixez pas de limites, vous courrez droit vers un autre syndrome : celui de l’épuisement professionnel (burn-out).
  2. Dépréciation de soi : au début, le sauveur semble satisfait de son propre altruisme mais ressent vite de la frustration et de la tristesse lorsqu’il constate que l’admiration, l’approbation, les remerciements et l’amour qu’il reçoit ne sont pas à la hauteur de son engagement.
  3. Mauvaises décisions thérapeutiques : l’irrationalité de son exercice amène le praticien-sauveur à prendre des décisions tout aussi irrationnelles et à s’exposer à des échecs réels. L’acharnement thérapeutique ou le déni d’impuissance thérapeutique en sont des illustrations.
Jesus le Sauveur

LES SOLUTIONS

Il est important, pour le praticien qui voudrait rester lucide, d’accepter le fait qu’il/elle n’a que deux bras, que les journées ne font – et ne feront toujours – que 24 heures. Et en cela, il est illusoire de penser pouvoir prendre en charge, sur ses petites épaules, l’immense fardeau de la souffrance – ne serait-ce qu’odontologique – humaine.

Il faut aussi reconnaitre que certains patients ne peuvent (ou ne veulent pas) être sauvés, tout du moins par vous seul. Ceux qui ne suivent pas vos recommandations, ceux pour qui vous avez déjà tout tenté, ceux qui ne relèvent pas de votre spécialité, ceux qui consultent toutes les trois semaines, ceux qui ne consultent jamais, ceux qui veulent vous emmener là où vous ne voudriez ou ne devriez pas aller… Tous ceux-là consomment votre temps et votre énergie à la place de ceux pour qui vous pouvez vraiment quelque chose.

Le patient devrait toujours se rappeler que, si l’on y pense bien, que les solutions thérapeutiques offertes par la médecine moderne, relèvent, plus que jamais, du miracle.

Et en matière de miracle, tous les spécialistes sont d’accord pour affirmer que :

  1. On ne peut faire qu’un seul miracle à la fois.
  2. On ne peut pas faire un miracle à chaque fois.

CONCLUSION

La représentation du sauveur dans l’imaginaire et l’inconscient collectifs relève de la théatralisation romantique du héros tragique. Nous en avons tous, plus ou moins, subi l’influence. Mais le praticien, scientifique et humaniste, doit toujours s’en méfier et garder un pied bien ancré dans le réel afin de savoir ce qui est en son pouvoir et ce qui ne l’est pas.

Car comme l’aurait dit Marc Aurèle :

Mon Dieu,
Donnez-nous

Le courage d‘accepter
Ce qui ne peut être changé,

La force de changer ce qui peut l’être,

Et la sagesse de faire la différence entre les deux.

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5 commentaires sur “Le Syndrome du Sauveur”

    • thedentalist

      Il s’agit d’une citation dont l’origine fait débat. La plus ancienne attribution revient à Marc Aurèle; la plus récente aux Alcooliques Anonymes…
      Quoi qu’il en soit, elle demeure très inspirante!
      Merci du commentaire.
      A bientôt.

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  1. Olivier

    on ne peut pas s’apprécier en dansant. C’est le patient qui nous note, apprécie. Quand c’est bon, il vous loue; le contraire, il va vous détester.J’ai beaucoup aimé la citation de Marc Aurèle. S’il en existe d’autres, n’hésitez pas de partager avec nous.

    Répondre
  2. Sahiouni

    J’apprécie beaucoup cette citation .Il faut savoir relativiser ! ( et en général !)
    On ne peut trop s ‘investir pour ceux qui ne comprennent pas aussi leurs rôles et leurs devoirs.
    Faire ce que l’on peut et au mieux pour ceux qui le veulent vraiment et qui ont égards et respects pour ceux qu’ils sollicitent encore plus…

    Répondre

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