Depuis toujours, les hommes ont imaginé des histoires et construit des mythes et des légendes qui se sont transmises, de génération en génération, jusqu’à parvenir à nos oreilles aujourd’hui. Au point que certains continuent d’y croire dur comme fer, malgré les démentis formels de la science.
Voici 3 mythes odontologiques qui ont la vie dure :
LA FORME DES DENTS SERAIT LIÉE AU GENRE DU PATIENT
Impossible d’avoir étudié un tant soit peu la prothèse amovible complète sans avoir entendu parler de cette théorie, diffusée par le très respectable Pr Joseph LEJOYEUX, qui veut que le choix des dents prothétiques se fasse en fonction du genre du patient, de la forme de son visage, voire de ses caractéristiques psychologiques.
Cette théorie, dite « bio-morpho-psychologique » persiste au sein de notre profession. Trois études récentes ont tenté de vérifier cette hypothèse :
La première : Wolfart S. et coll. Inability to relate tooth forms to face shape and gender. Our J Oral Sci. 2004 Dec;112(6):471-6. où des photos des dents antérieures d’étudiants en odontologie (n=204) sont montrées (à deux reprises) à 10 dentistes qui doivent déterminer le genre de la personne à qui appartiennent ces dents. Les résultats ne sont ni corrélés, ni reproductibles.
La deuxième : Ferreira Jassé et coll. Assessment of the ability to relate anterior tooth form and arrangement to gender. J Prosthodont 2012;21(4):279-82. où le protocole est ici plus précis : des photos de dents antérieures sont montrées à 4 groupes tests (jeunes dentistes, dentistes plus expérimentés, prothésistes dentaires, dentistes spécialisés en esthétique) et un groupe contrôle (individus profanes, non dentistes). Les participants doivent tenter de déterminer si les dents qu’ils voient appartiennent à un sujet masculin ou féminin. Les observateurs ont échoué et l’étude conclue logiquement que l’observation visuelle des dents ne permet pas de déterminer le genre d’un individu.
La troisième : Mahn E et coll. Prevalence of tooth forms and their gender correlation. J Esthet Restor Dent 2018 Jan;30(1):45-50. Avec un protocole similaire, cette étude confirme les résultats des deux premières.
L’idée que la forme des dents serait corrélée à la forme du visage a, elle aussi, été battue en brèche par plusieurs études :
– Brodbelt RH et coll. Comparison of Face Shape with Tooth Form. J Prosthet Dent. 1984 Oct;52(4):588-92.
– Sellen PN et coll. Computer-generated study of the correlation between tooth, face, arch forms, and palatal contour. J Prosthet Dent. 1998 Aug;80(2):163-8.
– Zlataric DK. Int J Prosthodont. May-Jun 2007;20(3):313-5. Analysis of width/length ratios of normal clinical crowns of the maxillary anterior dentition: correlation between dental proportions and facial measurements.
LES DENTS DE SAGESSE PROVOQUERAIENT UN ENCOMBREMENT DENTAIRE
Autre croyance mythique, largement partagée par les chirurgiens-dentistes : les dents de sagesse devraient être extraites car leur « poussée » provoquerait, à terme, un encombrement des dents antérieures.
Cette idée à conduit une multitude de patients à la chirurgie, traitement ODF ou pas, parfois dans un but préventif. L’idée est tellement répandue que même les patients (ou leurs parents) en font la réclame.
Pourtant, plusieurs études se sont penchées sur la question, avec des résultats parfois contradictoires, essentiellement liés à certains biais méthodologiques. Mais deux méta-analyses (plus haut niveau de preuve) ont conclu que la présence des dents de sagesse ne suffisait pas (à ce stade) à expliquer un encombrement des dents antérieures mandibulaires :
- Khalid H, Melis M. The role of mandibular third molars on lower anterior teeth crowding and relapse after orthodontic treatment: a systematic review. ScientificWorldJournal. 2014;2014:615429.
- Stanaitytė R, Trakiniene G, Gervickas A. Do wisdom teeth induce lower anterior teeth crowding? A systematic literature review. Stomatologija. 2014 ;16(1)15-8.
D’autres facteurs peuvent, en effet, expliquer l’apparition ou l’aggravation de la dysharmonie dento-maxillaire. Il faut toujours garder à l’esprit que l’extraction des dents de sagesse ne doit pas être systématique et que le rapport bénéfice-risque doit être sagement pondéré.
LES VARIATIONS DE LA DIMENSION VERTICALE SERAIENT DANGEREUSES
C’est la crainte de beaucoup de praticiens lorsqu’ils doivent faire varier – dans le sens de l’augmentation ou (plus rarement) de la réduction – la dimension verticale (DV) d’un patient pour des raisons thérapeutiques. Cette croyance est liée à d’autres croyances qui voudraient que l’usure dentaire provoque systématiquement une perte de la DV, que l’augmentation de la DV doive impérativement se faire de manière progressive ou qu’elle puisse même générer du bruxisme…
Ces idées se sont malheureusement répandues jusque dans les enseignements et les pratiques avant que la science n’ait pu montrer qu’elles n’avaient pas lieu d’être.
Rappelons que :
- Le diagnostic de perte de DV peut difficilement se faire sur la base de l’observation clinique et ne doit pas être confondu avec une perte de calage postérieur.
- Il n’existe pas de méthode précise de détermination de la DV idéale.
- La tolérance biologique aux variations de DV est grande alors que la tolérance esthétique à ces mêmes variations est bien moindre.
Un excellent numéro de la toute aussi excellente revue Réalités Cliniques fait le point sur ces questions et balaie du même coup bon nombre d’idées reçues : La dimension verticale d’occlusion : mythes et réalités. Réalités Cliniques n°2, vol. 24, juin 2013.
CONCLUSION
La médecine, même la plus humaniste, doit rester une science. Et la science, par définition, continuera sans cesse à se poser des questions et à chercher des réponses. Mais le plus difficile, lorsqu’elle les trouve, reste de faire voler en éclat les croyances consolidées par des années, voire des siècles d’ignorance ou de superstition. Ce travail, indispensable, doit se faire à la lumière de doutes, d’observations, d’hypothèses et d’arguments scientifiquement validés.
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Étudiant, j’étais très contrarié de devoir apprendre par cœur ces morphologies dentaires, les classifications homéopathiques, etc. Je ne sais pas si ces cours faisaient l’objet d’une vraie croyance de la part des enseignants, mais c’était dingue d’être confronté à ça.
Le mythe ODF, j’y ai plus ou moins échappé, par contre le coup de la DVO hyper précise et sensible, j’en ai beaucoup entendu parler pendant mes études.
Enfin ce qui m’a peut-être le plus choqué, c’est le semestre entier de cours sur la psychanalyse freudienne !
Même en P1/PACES, où on imagine que les enseignants sont triés sur le volet, je me suis rendu compte des années après que j’avais appris pas mal de notions de pseudosciences, notamment en psychiatrie.
Bonjour Max,
et merci pour ce témoignage. Nous avions déjà évoqué les moyens pour améliorer l’enseignement de l’odontologie dans cet article mais je pense qu’il faut bien faire le distinguo entre des enseignements « satellites » qui ne peuvent avoir de sens que s’ils sont connectés à notre coeur de métier, et les pseudo-sciences ou autres concepts non prouvés.
Alors, où situer les disciplines comme la psychanalyse et la psychiatrie? Les praticiens que nous sommes pourraient pourtant bénéficier de notions dans ces domaines pour mieux comprendre les patients dont les profils psychologiques sont parfois « borderline ». Encore faut-il que ces notions soient abordées sous l’angle scientifique (neurosciences) et pas sous un angle ésotérique ou new-age et surtout que le lien avec la clinique odontologique soit la motivation principale de l’enseignement. En clair : pas du bourrage de crâne bête et méchant.
100% d’accord avec ton constat sur l’enseignement de la DVO à la fac… malheureusement.
Merci de cet article !
J’ai fait mes études dans la même fac que Max360 et je ne peux que confirmer ses dires, non seulement on nous as fait apprendre les types homéopathiques » fluorique » , « carbonique » etc… alors qu’il me semble en plus que c’était une classification qui datait d’au moins un bon siècle dans la lignée de la phrénologie et que ça devrait au moins mettre la puce à l’oreille… Par contre, l’enseignement à la méthode scientifique, à la réflexion rigoureuse et critique, il fallait la chercher soi même ^^
J’y ajouterai encore le fait que certains freinent des 4 fers quand il faut se mettre à jour et modifier sa pratique, mais qu’en tant que praticien on doit évidemment proposer à nos patients ce qui est le plus à jour dans les données scientifiques et que quand on essaie de respecter cela c’est aussi difficile de re devenir un simple patient quand on consulte pour soi et de constater que le spécialiste qu’on consulte ( dans un autre domaine que dentaire ) a 10 bonnes années de retard sur les recommandations de sa spécialité dans ses prescriptions pour peu qu’on soit un peu curieux de décortiquer l’ordonnance et d’aller lire les documents de la HAS etc…
Bonjour et merci pour cet article.
Moi le premier, nous avons tendance à associer les dents « rondes » aux dents féminines et les dents « pointues » ou « carrées » à des valeurs de masculinité. J’admet que cet image m’influence lorsque je réhabilite des sourires.
Cet éclairage bat en brèche mes habitudes (que dis-je mes croyances), merci
Bonjour Bondil,
Cette habitude, je crois que nous l’avons tous acquis lors de nos études, tant l’idée est ancrée dans l’enseignement. On peut donc pensé que vous avez été un étudiant assidu! Mais en bon étudiant que vous êtes, même après la fin de vos études, vous continuer d’apprendre. Bravo!
Merci pour votre commentaire.