Le droit médical définit l’ensemble des règles juridiques qui régissent et encadrent les droits et les obligations des professionnels de santé à l’égard de leur patients. C’est un droit qui vise à l’indemnisation des victimes mais qui a des effets en matière de prévention des dommages et d’amélioration des pratiques médicales. Il trouve sa source dans les différents codes législatifs, dans le code de déontologie et dans une jurisprudence qui, ces dernières années, a connu une très forte croissance en la matière.
La loi 2002-303 du 24 mars 2002, dite Loi Kouchner, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a été le point de départ de l’évolution moderne du droit médical français. Cette loi a permis, entre autre, l’instauration de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique c’est à dire d’un accident médical, même sans faute du professionnel. Cette indemnisation lorsqu’elle doit avoir lieu, est normalement effectuée par l’assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) du praticien.
12 ans après la promulgation de cette loi, les rapports annuels des assureurs des professionnels de santé indiquent clairement une augmentation exponentielle des litiges entre les soignants et les patients. Conséquences de cette progression :
- La hausse tout aussi exponentielle des cotisations de RCP pour les professionnels de santé et plus particulièrement pour les spécialité « à risque ».
- Les assurances doivent faire face à des dépenses désormais croissantes à tel point que la loi de finance rectificative de 2012 a mis en place un fonds de garantie destinés à prendre en charge les dommages médicaux trop importants pour être couverts par les assurances des médecins. Et il est demandé à l’ensemble des professionnels de santé de l’alimenter!
- Pour se prémunir d’une éventuelle action à leur encontre, les médecins pratiquent plus d’examens complémentaires non nécessaires du point de vue médical. D’autres, encore plus nombreux préfèrent l’abstention thérapeutique lorsque le risque médical est trop élevé ce qui, avouons-le, va à l’inverse du principe même de la médecine.
- Les patients comprennent que le moindre désagrément, même sans faute du praticien, peut leur permettre d’espérer une indemnisation. Ils engagent de facto plus de procédures et la résultante entretient une tendance à la consumérisation de la santé.
La remise en cause de l’Etat-providence se traduit par un sentiment croissant d’inquiétude et de méfiance et par une demande d’assurances fortes. Ce que les patients acceptaient jusqu’alors avec un certain fatalisme, ils le refusent à présent et veulent savoir. Les notions même d’aléa et de risque médical, qui pèsent sur les épaules de ceux qui tentent, d’une manière ou d’une autre, d’apporter assistance et soins aux malades se diluent dans la jurisprudence où la notion d’obligation de moyens évolue progressivement vers une quasi-obligation de résultat. Cette jurisprudence, qui admet la notion de risque nécessaire, n’en décide pas moins avec une grande rigueur que toute imprudence ou toute négligence, voire ce qui est encore plus discutable toute maladresse, même la plus minime, constitue une faute (Cass. 1ère civ., 23 mai 2000, deux arrêts), sans admettre de faire la moindre place à la notion d’erreur que l’irréductible faillibilité humaine confrontée à la complexité du domaine examiné imposerait pourtant de prendre en considération.
L’introduction des 35 heures, le plafonnement des honoraires, le blocage du numerus clausus, la pénurie de professionnels para-médicaux, l’immensité des connaissances médicales et leur permanente évolution, la complexité croissante des procédures, de l’organisation pluri-disciplinaire des soins, les réglementations sanitaires et des obligations légales poussent les juristes les plus lucides à avouer qu’il est désormais impossible pour un praticien qui serait attaqué en justice de ne pas être reconnu coupable d’un quelconque manquement.
Le professionnel de santé consciencieux ne peut que ressentir une profonde injustice lorsqu’il est pris en étau entre un système judiciaire qui lui impose des obligations toujours plus lourdes et un système social qui souhaite faire accéder le plus grand nombre à une médecine fantasmée, miraculeuse, sans complication, sans risque ni coût. Bien que l’exercice de la médecine ne puisse en aucun cas s’affranchir du cadre du droit commun et que le droit à l’indemnisation des malades soit également légitime, il est inquiétant de constater que le législateur et tous les acteurs des batailles juridiques fassent systématiquement porter la responsabilité au soignant et perdent peu à peu de vue la réalité de ce qu’est le combat médical quotidien contre la maladie et la mort.
A tous je conseille donc la lecture palpitante des ouvrages du Dr Atul Gawande, chirurgien et enseignant à Harvard :
- « Faire ses Armes » qui rappelle une évidence : on ne forme pas de nouveaux médecins sans exposer les malades.
- « Guérir. Faillir » qui interroge des médecins, des juristes et des patients sur la question de la faillibilité et de la responsabilité.
Bonjour,
Sur vos conseils, j’ai lu le livre « Faire ses armes », et je confirme que c’est une excellente lecture! On se retrouve complètement dedans, il met très bien en lumière ce paradoxe de l’interne/étudiant qui aimerait savoir faire bien tout de suite, alors que c’est la pratique (et ses échecs) et l’acharnement qui amèneront finalement la réussite.
C’est difficile d’accepter de devoir faire « pas très bien » avant d’être capable de faire bien, cet ouvrage parvient très bien à démontrer qu’il n’y a pas de honte, c’est très déculpabilisant.
Salut Alice et merci beaucoup pour ce commentaire. Je suis parfaitement d’accord avec toi.
Je corrobore ton impression avec une citation de Franz Wilczek, prix Nobel de physique 2004 : « Si vous ne commettez pas d’erreurs, c’est que vous ne travaillez pas assez dur sur les problèmes et ça, c’est une grave erreur. »
La médecine est, dans une certaine mesure, une discipline fantasmée aussi bien par ceux qui la reçoivent et ceux qui la pratiquent. Le droit médical reflète bien ce fantasme. La réalité de la pratique est un apprentissage acharné, perpétuel et l’on apprend bien que de ces échecs.
Atul Gawande est un auteur captivant et lucide qui plaide pour une médecine fidèle à ce qu’elle est et doit être : une science humaine. Je te conseille vivement ces autres ouvrages. « The Checklist Manisfesto » est d’ailleurs chroniqué dans la Librairie du Dentalist
A très bientôt.
Cette judiciarisation de la médecine et la hausse parfois exponentielle des cotisations RCP qu’elle entraîne est l’une des causes majeures de la montée des dépassements d’honoraires si décriés dans l’opinion publique aujourd’hui (surtout dans les spécialités à hauts risques comme la gynécologie, l’anesthésie/réanimation ou la chirurgie). Les risques de litiges sont plus importants lorsque la part à charge des patients est importante du fait des couvertures Sécu et complémentaires incomplètes. Les complémentaires, qui souvent assurent aussi bien le risque santé des patients que la RCP des praticiens qui les soignent, doivent comprendre que seuls des soins de haute qualité et très bien remboursés leur permettra de faire de substantielles économies à moyen ou long terme, du fait de la diminution du nombre de sinistres (prévention et soins plus durables) ainsi que celui du nombre de litiges. Mais c’est une vision globale que ne peuvent pas ou ne veulent pas avoir les gestionnaires actuels de ces organismes qui privilégient les économies ou la rentabilité à court terme, avec la complicité des décideurs politiques.
Bonjour Alain,
Vous soulignez parfaitement toute la problématique des assurances-santé et mettez en lumière le piège qui est en train de se refermer sur les professionnels de santé et à par ricochet, sur les patients.
Comme dans beaucoup d’autres domaines (économie, écologie…), c’est la gratification à court terme qui prévaut en espérant que ce sera quelqu’un d’autre qui en assumera les conséquences. Je suis entièrement d’accord avec vous.
Mais le but de l’article était de mettre en évidence le cadre légal, sans cesse fluctuant et toujours relatif, qui sous-tend ces comportements. Les assureurs et les décideurs politiques agissent dans le cadre du droit et des textes législatifs. Soit. Mais on a toujours cette désagréable impression que les lois arrangent d’abord ceux qui les écrivent.
Merci beaucoup pour votre commentaire.