Vous vous souvenez sûrement de la série télévisée « V », diffusée dans les années 80, qui mettait en scène une invasion planétaire de lézards extra-terrestres ayant pris forme humaine pour nous amadouer et nous bouffer. Pour ceux qui ne connaissent pas, voici ici le générique original et là, une vidéo qui en explique assez bien le concept.
Le cabinet dentaire est, lui aussi, régulièrement visité par un nombre croissant de personnes ayant une petite idée derrière la tête…
Nos gentils et valeureux praticiens seront-ils assez intègres et courageux pour conserver leur indépendance professionnelle ?
L’INVASION COMMERCIALE
L’exercice de notre métier nécessite un grand nombre de produits et matériels conçus, fabriqués et distribués par des sociétés et des laboratoires commerciaux. Les lois du marché font que ces entreprises ont proliféré et sont aujourd’hui très nombreuses. La liste des produits qu’elles proposent est devenue pléthorique et la publicité invasive…
Les professions médicales et les sociétés commerciales sont depuis longtemps habituées à co-exister. Chaque « monde » ayant besoin de l’autre pour subsister. Il était jusqu’alors assez facile de reconnaitre les visiteurs médicaux (VM), leurs directeurs régionaux (DR), organisant des enseignements post-universitaires (EPU) et des symposiums à visée promotionnelle pour leurs produits…
Mais des dérives commerciales n’ont pas tardé à apparaitre : recrutement de VM au physique séduisant, cadeaux, repas et voyages offerts aux meilleurs prescripteurs, travaux de recherche bidons, publi-rédactionnels douteux, campagnes publicitaires agressives, SPAM et harcèlement téléphonique.
Dernièrement, les stratégies commerciales des sociétés ont connu une nouvelle mutation pour gagner le juteux marché de l’implantologie. Elles recrutent des chirurgiens-dentistes, consultants à temps-plein, dont la mission est de donner du crédit scientifique et médical à l’argumentaire des VM (qui ne sont pas chirurgiens-dentistes et ne posent pas d’implants) et ainsi convaincre leurs confrères libéraux d’acheter les produits qu’ils représentent plutôt que ceux de la concurrence.
LE DÉLIRE MARCHAND
Malheureusement la logique commerciale est assez peu compatible avec la logique médicale. Chaque nouveau produit, chaque nouveau lancement est présenté comme LA révolution, LA solution miracle que tout le monde attendait, LA bénédiction qui fera s’envoler tous nos soucis cliniques… et pourquoi pas nous ramener Mike Brant!
Prenons l’exemple des facettes Lumineers, distribuées par la société TBR. En examinant la plaquette commerciale, tout semble facile et n’a que des avantages : deux séances, pas de provisoire, pas de préparation, pas de mention ni de l’analyse esthétique, ni de l’occlusion. Aucun échec n’est envisagé; la formation en deux jours et le tube de colle sont inclus dans le package.
Entendons-nous bien : si cette innovation technologique permet de simplifier et optimiser les protocoles, pourquoi pas? Mais il semble que les techniques adhésives réclament quelques connaissances et un minimum de préparation mentale et physique. Rien d’insurmontable, mais un minimum tout de même…
En implantologie, où le marché est juteux et la guerre commerciale sans pitié, les arguments purement commerciaux font désormais courir des risques aux praticiens novices et à leurs patients.
Or, si vous pratiquez l’implantologie et que vous suivez son actualité depuis quelques années, vous savez probablement :
- qu’il y a plus d’échecs et complications dans la vraie vie que dans les brochures qui vantent les nouveautés commerciales.
- que les complications en implantologie sont parfois difficiles à gérer, pouvant aller du dévissage à la dépose pure et simple de l’implant.
- qu’il est toujours amusant de repenser à toutes ces pseudo-révolutions éphémères, qui nous été présentées sans le recul clinique nécessaire, et qui ont été si rapidement abandonnées. Ou encore à ces commerciaux qui passent à la concurrence et dont l’argumentaire qu’ils défendaient ardemment fait soudainement volte-face.
CONCLUSION
Il faut pourtant bien rendre hommage aux hommes et aux femmes qui constituent ce que les dirigeants de ces sociétés appellent « la Force de Vente » et qui sont sur le « Terrain ». Ils méritent le respect et la considération des praticiens qui les reçoivent. Ils font un travail contraignant et subissent bien souvent une politique managériale dictée par une logique de profit maximal.
Mais les praticiens se doivent, de part leur mission professionnelle de :
- garder un oeil critique sur ce qu’ils achètent et utilisent sur leurs patients
- se méfier des liens d’intérêts qui, nous l’avons vu, prennent de multiples formes
- préférer, pour se former, les sociétés scientifiques indépendantes
- confronter les promesses commerciales aux résultats cliniques
Car le but du visiteur, au final, souvenez-vous en, reste et restera de passer du temps auprès de vous pour vendre un maximum de produits. Cela n’a rien de gênant dans l’absolu, mais lorsque l’échec ou la complication surviendront, vous trouverez votre cabinet bien vide pour une fois.