La prothèse est une des disciplines fondamentales de notre exercice puisqu’elle constitue l’objectif thérapeutique dans un grand nombre de situations cliniques où un/des organe(s) constitutif(s) du système stomato-gnathique est/sont à restaurer ou à remplacer. Dernièrement, les prothèses dentaires se sont sophistiquées, démocratisées mais leurs coûts de conception et de fabrication sont au coeur des débats entre les praticiens, les patients et les assurances santé.
En voulant tirer le prix des prothèses vers le bas, n’aurait-on pas oublié en chemin que le remplacement d’un organe manquant est un challenge médical et technique d’une extraordinaire complexité?
LE SURFEUR D’ARGENT
Eric Dargent est un véritable passionné de surf. En 2011, alors qu’il surfait à la Réunion, il a été victime de l’effroyable attaque d’un requin qui lui a déchiqueté la jambe gauche. La gravité de la blessure a obligé les chirurgiens à l’amputer au dessus du genou. Après une longue hospitalisation et une encore plus longue rééducation, il a d’abord été équipé d’une prothèse « classique » qui lui a permis de marcher sans béquille mais impossible de reprendre le surf car pour se tenir sur une planche, il faut de l’équilibre et donc de la proprioception, c’est à dire la perception sensorielle dans l’espace lors du mouvement.
Puis, grâce à une équipe constituée de médecins, de prothésistes et d’ingénieurs, Eric Dargent a pu être équipé d’une prothèse révolutionnaire, spécialement conçue pour lui et dont le genou associe l’action d’un amortisseur air/huile à celle de tendons élastiques qui recréent le mouvement des muscles. La prothèse a été adaptée et modifiée pour lui permettre la pratique spécifique du surf.
Le résultat est à peine croyable :
Pour Eric Dargent, cette prothèse n’a pas de prix car elle relève du miracle : lui permettre de continuer à pratiquer sa passion, sa raison de vivre.
Les dernières avancées technologiques et médicales dans le domaine des prothèses constituent un espoir inimaginable pour de nombreux amputés qui peuvent désormais espérer re-marcher sans béquille, librement… et même battre des records olympiques. Mais ces prothèses, très spécifiques, sont le fruit d’un énorme travail de la part de médecins, d’ingénieurs, de prothésistes, d’usineurs et d’assembleurs. Elles sont très couteuses et non prises en charge par la Sécurité Sociale.
« REVENDEURS » DE PROTHESES?
Comme les prothèses de jambe ou de main, les prothèses dentaires peuvent se diviser en deux catégories :
- les prothèses classiques : elles sont l’équivalent des « jambes de bois » ou des mains en silicone. Ce sont les prothèses amovibles qui peuvent, certes, rendre des services mais dont les performances et le confort restent médiocres.
- les prothèses modernes : Ce sont les prothèses fixes dento- ou implanto-portées. Elles permettent de s’approcher au mieux des conditions normales de fonctionnement de l’appareil manducateur.
Les prothèses dentaires s’inscrivent au même niveau de performance fonctionnelle que les prothèses de jambe ou de main, et sans doute au delà. Car si l’on y réfléchit bien, un édenté est privé des fonctions essentielles de la vie personnelle et relationnelle que sont la mastication, la phonation et le sourire. Ces fonctions complexes, sont chacune répétées des dizaines de fois par jour, chaque jour de notre vie, pendant des dizaines d’années… à tel point – et c’est là que le bas blesse – que nous n’y pensons même plus.
Les prothèses dentaires sont très couteuses car elles sont complexes à réaliser et à intégrer correctement dans le schéma corporel, sensoriel et fonctionnel de l’individu qui les reçoit. Pour l’immense majorité des patients (et certains praticiens très peu scrupuleux) la réalisation de prothèses dentaires ne consisterait donc qu’à faire un « moulage » des dents, d’en sous traiter la fabrication et de les coller en bouche. La réalité est moins simple et personne ne sait mieux que nous que les disciplines prothétiques nécessitent des connaissances approfondies dans les domaines de la physiologie oro-faciale, de la parodontologie, de la biomécanique dentaire, des biomatériaux, de l’esthétique du sourire et de l’occlusion fonctionnelle.
CONCLUSION
Les histoires d’édentés ou d’invalides buccaux sont beaucoup moins émouvantes que celle d’Eric Dargent mais les solutions prothétiques dentaires sont tout aussi complexes et délicates à mettre en oeuvre. Les risques iatrogènes sont réels, des moyens intellectuels et techniques sont nécessaires, des moyens humains (équipes pluri-disciplinaires coordonnées) sont indispensables. Les candidats aux réhabilitations prothétiques doivent avoir conscience de cela et c’est le rôle des praticiens de l’expliquer et de le démontrer, clairement et patiemment car :
« Dans l’esprit du public, remplacer une ou deux dents est une opération qui s’apparente au changement d’une roue de voiture. La réalité est bien différente. « Réussir » un bridge ou une couronne est un art véritable. »
– Raymond Leibowitch
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Certes, les prothèses ne sont pas essentielles au maintien de la vie mais elles améliorent considérablement le confort masticatoire, la digestion, l’esthétique et le bien-être. Traiter les personnes amputées de dents appartient à l’art prothétique et pour que le couplage corps-prothèse soit parfaitement réalisé sur les plans fonctionnel, biologique et harmonique, de très nombreux impératifs généraux et particuliers doivent être pris en compte. La réussite demande des connaissances approfondies, un savoir-faire exceptionnel, un sens artistique aigu. La prothèse résultante est une pièce unique, totalement créée pour le seul bénéficiaire. Alors quand le praticien expert est accusé de revendre des objets préfabriqués au taux fort, on mesure le niveau d’erreur ou de mensonge calculé qui s’exprime.
Il est essentiel de défendre l’art prothétique à son niveau le plus noble. Dans le combat à mener pour conserver les objectifs d’excellence qui représentent la gloire de notre profession, cet article est un exemple à suivre : tous les praticiens doivent être conscients des dangers du nivellement par le bas.
« Tous les praticiens – et je rajoute tous nos patients – devraient en être conscient. »
La tendance au « low-cost » est une réalité qui touche une part de plus plus grande des activités de service et la santé ne fait pas exception. C’est une tendance contre laquelle on ne peut rien. En revanche, il est indispensable que chacun soit clairement informé du résultat auquel il peut/doit s’attendre. Dès lors, le consentement éclairé peut il suffire? Pas si sûr, car le praticien est écartelé entre, d’une part les « données acquises de la science » et des règles juridiques prétendument universelles et d’autre part de multiples contraintes économiques. Dans ce contexte, pas d’autre issue que de maintenir une pratique et une discipline prothétique des plus rigoureuses et se défendre contre toute forme d’interventionnisme.
La fuite en avant des prothèses « low-cost » ne m’inspire qu’une seule inquiétude : « Plus dure sera la chute! »
Merci Daniel pour ce commentaire.
Dans l’esprit du public, remplacer une ou deux dents est une opération qui s’apparente au changement d’une roue de voiture. La réalité est bien différente. « Réussir » un bridge ou une couronne est un art véritable.
– Raymond Leibowitch
Pour ceux qui l’on connu et fréquenté comme moi il est difficile d’oublier l’homme et le professionnel qu’il était, sa photo avec son bilboquet trône dans ma bibliothèque.
Ses exigences dans l’exécution et la réalisation des prothèses ont été un exemple pour tous ceux qui l’ont fréquenté et admiré.
Je pense qu’il aurait été heureux de voir l’évolution de notre profession sur le plan technique et des matériaux. Mais ce qui était le plus caractéristique de ce maitre c’était sa rigueur morale et son éthique dans l’application des solutions qu’il choisissait pour ses patients.
Nous devons tous défendre notre profession auprès du public par des publications et des interventions dans les médias pour contrecarrer les mensonges débités à longueur d’émission par des journalistes ignorants.
Mais notre premier devoir reste de réaliser des reconstructions unitaires ou plurales dont les caractéristiques doivent être de pérenniser la bonne santé de tout le système manducateur et de tous ses composants. Primum non nocere.
Nous n’avons pas eu cette chance de côtoyer et d’apprendre auprès de Raymond Leibowtich mais nous souhaitons que son enseignement demeure. A nous tous de le faire vivre et de le défendre. Cela passe par les qualités que vous évoquez: rigueur, discipline, éthique, prudence… car les risques iatrogènes sont bien trop grands. Merci Toubol pour ce témoignage.
Quelle émotion de lire ces quelques lignes ! Mon père, Jean PRADOUX , prothésiste dentaire, a travaillé chez le Dr Leibowitch, dans les années 60/70. Ils ont soigné ensemble beaucoup de personnes plus ou moins connues … Brel, Bardot, Line Renaud et tant d’autres. Il était responsable du labo de prothèse du cabinet.
Mon père était un précurseur en céramique dentaire, un peu artiste, un peu professeur « trouvetou » de la prothèse mais aussi, avec et grâce à « Leibo » un champion du bilboquet !!!!
la prothèse est inévitable pour un jeune édenté. Un Mr est venu voir mon chef pour une réhabilitation prothétique parce qu’il a perdu la sienne. Durant tout une semaine il ne sortait pas de sa chambre. La prothèse l’a emprisonné.
Je désire être un prothésiste. Pouvez vous m’aider pour l’être? Quelles sont les conditions pour la formation?