Puisque vous suivez ce blog, vous êtes un(e) excellent(e) chirurgien-dentiste. Vous avez le potentiel intellectuel et manuel pour pouvoir pratiquer une dentisterie de haut niveau. Pourtant, vous avez l’impression que vous n’exercez pas au même niveau d’excellence, ni aussi souvent que vous le souhaiteriez. Le fossé qui existe entre ce que vos patients vous demandent de faire pour eux et ce que vous êtes capable de faire pour eux vous frustre. Beaucoup de vos patients présentent des situations cliniques qui nécessiteraient une approche globale et interdisciplinaire mais malheureusement, des considérations extra-cliniques vous barrent la route. Au final, c’est le patient qui décide. Voilà pourquoi, cet article va vous aider à combler ce fossé et vous aider à devenir plus efficace dans la compréhension de vos patients et dans la communication que vous aurez avec eux.
ETHIQUE ET PRAGMATISME
Mme Michu, je suis spécialiste en chirurgie-dentaire et vous êtes spécialiste en Mme Michu. Je vais veiller à ce qu’il en reste ainsi.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, quelques principes sont à connaitre et à toujours garder à l’esprit.
- Toujours privilégier l’intérêt du patient par rapport à l’intérêt pour vous ou votre cabinet. L’embrouille et la manipulation n’ont rien à faire dans un cabinet médical de qualité.
- Ne jamais décider à la place du patient de ce qui est bon pour lui. Vous ne disposez que d’une connaissance des données cliniques. Les patients connaissent mieux leur propre existence et sont donc les mieux placés pour prendre eux-mêmes leurs décisions en connaissance de cause.
- Même si vous êtes déçus que le patient n’accepte pas votre proposition de traitement, vous devez respecter ce choix. Vous n’êtes pas en mesure d’émettre un jugement de valeur concernant les décisions du patient. Il reste le plus qualifié pour savoir ce qui est bon pour lui/elle parmi toutes les options de traitement que vous proposez.
- Des évènements peuvent survenir dans la vie des patients et les amener à changer de situation et/ou d’avis. Là encore, il ne s’agit pas de juger mais d’accepter. Le patient ne doit pas se sentir coupable de vous en faire part.
- Même avec toute la bonne volonté du monde, certains patients n’accepteront pas votre plan de traitement idéal. Que ce plan de traitement soit peu risqué, court, facile à réaliser ou bon marché vous devez respectez ce choix.
Après avoir lu ces principes, relisez-les une nouvelle fois et à attardez-vous sur chacun des points. Il est très facile de penser « Oui, ça je le fais déjà… » plutôt que vous demander si vous le faites vraiment. Beaucoup de praticiens pensent qu’avec l’expérience, ils sont devenus des communicants efficaces sans jamais s’être assurés de l’être réellement. Trop souvent, les praticiens et leurs équipes pensent qu’une bonne communication consiste simplement à dire les choses de manière plus persuasive. Comme nous allons le voir, un bon communicant est une personne capable de mener une conversation équilibrée basée sur une écoute active c’est à dire des questions ouvertes qui invitent le patient à s’exprimer, puis une écoute attentive qui permet de poser d’autres questions plus précises de manière à approfondir la connaissance du patient, de son histoire et de ses problèmes. Ce n’est que lorsque la vraie compréhension des individus, et donc le respect mutuel, seront installés qu’une relation thérapeutique honnête et durable pourra s’établir.
DES MOTS
« Tu parles trop, j’entends du soir au matin, les mêmes mots, toujours les mêmes refrains, tu fais bla-bla-bla-bla bla-bla : c’est ton défaut. »
Eddy Mitchell et les Chaussettes Noires
Même si les paroles de cette chanson n’étaient pas destinées à un dentiste, il probable qu’en tant que dentiste vous parliez trop ! Pourquoi ? Parce que vous êtes docteur et que les docteurs savent beaucoup plus de choses et ont trop souvent tendance à délivrer l’information trop tôt et à trop entrer dans les détails. C’est la vérité et cela nous amène à respecter cette première règle : Concentrez-vous pleinement sur ce que vous ne savez pas encore et mettez de coté ce que vous savez déjà. Car le premier fossé qu’il vous faudra combler et celui qui existe entre la compréhension qu’à le patient de son histoire, de sa situation, de ses problèmes… et la compréhension que vous en avez. Cette distinction est extrêmement importante car un patient n’est motivé que par ce qui est important pour lui/elle, pas par ce qui est important pour vous. Si vous en doutez, sachez que personne n’atterrit chez le dentiste par hasard. Chaque patient qui fait cette démarche, le fait intentionnellement dans le but de résoudre un problème. Tant que vous ne savez pas précisément ce qui a poussé le patient à faire appel à vous et pourquoi il fait appel à vous plutôt qu’à un autre : vous ne savez rien! En conséquence : votre mission numéro un est de connaître l’histoire du patient. Dans la plupart des cabinets dentaires, prendre le temps d’écouter l’histoire du patient demande un certain effort pour échapper à la tyrannie de la montre. Un appel téléphonique d’un nouveau patient et l’assistante qui n’a pas le temps ni la patience de connaître les raisons et les circonstances qui ont amené cette personne à contacter le cabinet car une autre ligne téléphonique se met à sonner, un autre patient se présente pour son RDV, il y a des documents administratifs à trier, des courriers à taper, des photocopies à faire… Les tâches quotidiennes réclament de l’attention et doivent être effectuées – très souvent au dépend de ce qui est vraiment important.
You speak a foreign language.
Usted habla un idioma extranjero.
Lei parla una lingua straniera.
Du snakker et fremmed språk.
Вы говорите на иностранном языке
Úgy beszél egy idegen nyelvet.
Vous parlez une langue étrangère.
Les chirurgiens-dentistes et leur équipe peuvent parfois être très attaché à leur jargon médico-technique et très souvent, pensent-ils que plus c’est technique, mieux c’est. Ils persistent à utiliser ce verbiage même face à un patient qui décroche et ne comprend visiblement rien à ce que l’on raconte et qui du coup, l’empêche de jouer un rôle participatif dans la discussion. Ce qui nous amène à la deuxième règle qu’il faut absolument respecter : Si vous ne connaissiez pas un mot avant d’entrer en fac dentaire, évitez de l’utiliser lorsque vous adressez au patient. Il est tout à fait possible de réaliser un examen clinique exhaustif et de décrire n’importe quelle situation clinique en utilisant un langage courant. Ecrire un article scientifique dans le Lancet et s’adresser un patient profane nécessitent deux vocabulaires différents. Contrairement à ce que beaucoup de médecins pensent, l’utilisation d’un langage hermétique n’améliore pas l’idée que ce fait le patient de votre savoir et de vos compétences. Même si la situation clinique du patient est complexe, vous devez résister à l’envie de gagner du temps sur les explications en utilisant votre jargon. La bonne stratégie consiste à repousser les explications à une séance ultérieure : « Mme Michu, comme vous avez pu l’entendre, j’ai communiqué beaucoup d’informations à mon assistante et j’ai donc beaucoup d’explications à vous donner. Mais ne vous inquiétez pas, nous allons nous revoir et je vais vous les expliquer en détail afin que vous compreniez bien ce qui se passe et ce que nous pouvons faire pour vous aider. »
Ceci nous amène à la troisième règle à respecter pour une bonne communication avec le patient : La communication n’est pas une course.
Imaginez un stade olympique. Deux coureurs sont dans les starting-blocks. A vos marques, prêts, partez ! Un des deux coureurs est largement plus rapide que l’autre. A la moitié d’un tour, le premier coureur est largement en tête et lorsqu’il atteint les ¾ du premier tour, il double déjà l’autre coureur qui n’a plus aucune chance de refaire son retard. Si vous aimez la compétition, c’est parfait. En revanche, une bonne relation patient-praticien doit se baser sur le partenariat et la collaboration, pas sur la compétition. Si le chirurgien-dentiste prend 3 tours d’avance avant même que le patient ait compris de quoi vous parlez, les principes de la collaboration thérapeutique sont violés et la relation se déséquilibre. L’efficacité de la communication se base sur la création d’une vraie collaboration avec le patient qui progressera lentement et patiemment au rythme de compréhension du patient, en reliant sans cesse les problèmes du patient et les causes mis en évidence lors de l’examen clinique. Car ça n’est que lorsque le patient est capable de faire le lien entre les observations cliniques et les problèmatiques qui interfèrent avec sa qualité de vie que les solutions thérapeutiques que vous proposez prendront du sens. Réfléchissez à la différence entre efficacité et performance. Selon Tim Ferris : « Etre efficace, c’est faire des choses qui vous rapprochent de vos objectifs. Etre performant, c’est accomplir une tâche donnée de la manière la plus économique (en termes de temps et de moyen) possible. La performance sans considération de l’efficacité est le mode de fonctionnement par défaut de l’univers. » La performance peut s’appliquer pour les objets inanimés. Avec les êtres humains, les choses sont différentes et nous avons besoin d’efficacité. Tout le monde est différent et chacun à besoin d’une approche et d’un timing particulier. En conséquence, les stratégies de ressources humaines visant la compréhension et la collaboration doivent être élaborées selon un modèle d’efficacité et non de performance. Toute l’équipe soignante doit disposer de temps, de patience et d’un large éventail communicatif pour accompagner le patient dans son parcours de soins.
LA VERITE
L’approche globale en dentisterie peut parfois vous contraindre à délivrer une quantité importante d’informations au patient pour obtenir son consentement éclairé. On peut penser qu’ a priori, le patient sera noyé et incapable de prendre une décision. En réalité, il apparaît que les patients sont capables d’intégrer une quantité significative d’informations si et seulement si cette information est délivrée de manière méthodique, en termes simples et compréhensibles, à un rythme adapté et en reliant les données cliniques et les préoccupations du patient. Les patients sont noyés si vous débitez à toute vitesse des informations complexes, inutiles et si vous demandez au patient de prendre rapidement une décision.
Et nous voilà rendu à la quatrième règle : Vous devez TOUJOURS dire la vérité et vous devez laissez du temps au patient pour intégrer ces informations.
Dire la vérité ne signifie pas uniquement ne pas raconter de mensonge mais aussi ne pas omettre ou refuser de dire quelque chose de vrai sous prétexte que le patient n’appréciera pas ou ne comprendra pas l’information. Si craignez que le patient ait des difficultés avec votre discours, vous devez ralentir et vous assurez que votre discours est parfaitement descriptif.
Voici comment procéder :
- Voilà ce que je vois
- Voilà ce que cela veut dire pour moi et pour vous
- Voici les conséquences de cette situation
- Voici comment cette situation est liée à votre santé, votre qualité de vie ou les problèmes que vous souhaitez résoudre.
Car la différence fondamentale entre le cerveau du praticien et celui du patient réside dans le fait que le praticien se base sur des détails factuels qui, mis en commun, débouchent sur une vue d’ensemble. Alors que le patient fonctionne dans le sens inverse : du général vers le spécifique. Alors, qui doit s’adapter à qui ? Si vous demandez au patient de s’adapter à vous, vous vous éloignerez de vos objectifs. Si vous changer votre approche pour vous adapter au mode de fonctionnement du patient, vous obtiendrez des résultats plus satisfaisants.
DU TEMPS
« Mme Michu, que pensez-vous que le Docteur va découvrir en examinant votre bouche ? »
Voilà une question pertinente qui est rarement posée au patient, même par le praticien. Réfléchissez à l’avantage énorme que vous pouvez avoir à savoir, à l’avance, si le patient s’attend à ce que vous découvriez dans sa bouche une large gamme de pathologies ou au contraire aucune. Un patient qui consulte pour un deuxième avis est toujours mieux informé et prêt à entendre les solutions qu’un patient qui n’a pas consulté depuis des années. Le premier écoutera vos recommandations plus attentivement que celui qui vient de découvrir la gravité de son état. Il peut y avoir une très grande différence entre ces deux types de patients et la dimension temporelle devient une variable primordiale. L’information doit être préparée et présentée au patient de manière à ce qu’il puisse agir en conséquence.
Il ne faut jamais demander au patient de prendre des décisions importantes dans une situation de douleur physique et/ou émotionnelle. Lorsque le patient ne s’attend pas au diagnostic, il est important de lui fournir de l’aide, du temps et de l’espace pour intégrer ces informations inédites et parfois malvenues.
CONCLUSION
Combler le fossé qui existe entre ce que nous pouvons faire pour nos patients et ce qu’ils nous demandent de faire pour eux exige un effort de la part de l’ensemble de l’équipe soignante pour développer des compétences humaines, comportementales, diagnostiques et thérapeutiques. Cet effort sera bénéfique à tous : le patient, le praticien et le cabinet. Car c’est dans la qualité des relations que nous cultivons avec nos patients que se trouve la clé de l’amélioration de nos exercices. En étant lucide vis à vis de nos lacunes comportementales, nous prendrons conscience que nos compétences cliniques et techniques sont un facteur essentiel mais non suffisant pour aider nos patients à choisir des solutions parmi une large gamme d’options.
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