Sorti en 2014, Hippocrate est un long-métrage réalisé par Thomas Litli. Il s’agit d’une comédie dramatique qui se déroule dans un service hospitalier de Paris où Benjamin (joué par Vincent Lacoste), jeune interne, débarque pour 6 mois.
Benjamin va rencontrer Abdel (joué par Reda Kateb), un médecin expérimenté, diplômé en Algérie mais FFI (Faisant Fonction d’Interne) dans le service et qui espère être titularisé et rejoint par sa famille. Le drame s’articule autour du fait que le chef du service (joué par Jacques Gamblin), qui n’est autre que le père de Benjamin, va couvrir une « erreur médicale » de son fils alors qu’Abdel ne sera pas soutenu lorsqu’il prendra une décision médicale contre l’avis de sa hiérarchie.
Ce qui frappe, dès les premières minutes du film, que l’on soit soignant ou profane, c’est le réalisme de l’environnement dans lequel évoluent les personnages. On est littéralement plongé dans le service de ce CHU parisien et dans sa dure réalité : difficultés des tâches des soignants, manque d’effectifs et de moyens, la souffrance des patients en fin de vie et la détresse de leurs familles. Tous les personnages qui peuplent tous les services hospitaliers de France sont là eux aussi : aides-soignants, infirmières, chefs de clinique, internes et bien sûr les patients et les accompagnants.
De part son titre sans équivoque, le film propose un regard très précis sur la médecine, les médecins et sur tous ceux qui tentent, au quotidien, de minimiser les souffrances humaines. On comprend (enfin?!?) que la médecine n’est pas faite au quotidien par des nantis, mais par de « petites mains » sous payées : jeunes internes peu expérimentés, médecins étrangers FFI, infirmières, auxiliaires, manutentionnaires, secrétaires… Quand l’un des médecins étrangers FFI explique qu’il vient d’enchainer 58 heures de garde, ce n’est pas exagéré : c’est la réalité.
La confrérie des internes dont Benjamin fait partie est elle aussi très bien décrite : l’envie de bien soigner et d’être reconnu pour cela, le manque d’expérience, la découverte de la réalité de la pratique, le stress et la fatigue, l’angoisse face à la mort des patients, la solidarité et les fêtes qui servent d’exutoire.
Sur le fond, le film pose de vrais éléments de réflexion pour la société toute entière et pour les « pouvoirs » publics et qui trouvent un écho presque assourdissant dans l’actualité :
- L’acharnement thérapeutique, l’accompagnement en fin de vie et le droit des patients : c’est à travers ces thèmes fondamentaux que se noue toute l’intrigue du film. Ce sont les affaires Vincent Lambert, du Dr Bonnemaison et tout le débat sociétal autour du droit à mourir dignement qui résonnent.
- La guerre des chefs et la hiérarchie médico-administrative : le directeur de l’hopital, administrateur dont les beaux discours sont le symbole de l’Etat, du droit et de la paperasse n’a visiblement aucune idée de ce qu’est le fardeau du soignant. On est obligé de penser alors à nos très chers Ministres de la Santé qui n’ont jamais touché un malade et qui imposent leurs lois absurdes à ceux qui font de leur métier un sacerdoce et qui – ultime paradoxe – font grève tout en travaillant. D’où la phrase choc prononcée par Abdel, non sans amertume : « Médecin : ce n’est pas un métier; c’est une espèce de malédiction.«
- Les carabins et leurs traditions alors que la fausse polémique autour de la fresque de la salle de garde du CHU de Clermont-Ferrand prend de plus en plus d’ampleur démagogique. Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, voici les liens vers 2 articles qui permettront aux biens-pensants de tous bords de comprendre pourquoi ces fresques existent depuis si longtemps et pourquoi il est débile de vouloir les censurer.
Loin, très loin des séries américaines comme Grey’s Anatomy ou Dr House, Hippocrate est un film puissant, lucide et juste qui, espérons-le, frappera très fort les esprits de tous ceux qui croient savoir ce que sont les médecins et la médecine mais qui n’en ont, malheureusement, qu’une très lointaine idée.