Le Malade Imaginaire

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Dans l’oeuvre extraordinaire de Molière, le Malade Imaginaire occupe une place toute particulière. Jouée pour la première fois le 10 février 1673 au Théatre du Palais Royal, cette comédie-ballet en trois actes est considérée comme l’une des plus riches et des plus profondes de Molière. C’est aussi la dernière comédie écrite et représentée par lui et à la fin de laquelle il s’éteint, pratiquement sur scène, le 17 février 1673, des suites de la tuberculose.

L’intrigue s’articule autour du personnage d’Argan, bourgeois riche et bien-portant mais qui se croit très malade. Angoissé et hypocondriaque, il sollicite sans cesse des médecins (Mrs Diafoirus père & fils et Mr Purgon) et un apothicaire (Mr Fleurant) qui, dans des termes pompeux, lui prescrivent et lui facturent des traitements tout aussi absurdes qu’inefficaces. Argan est entouré de sa fille Angelique, qu’il cherche à marier contre son gré à un médecin, et de sa seconde épouse Béline, qui n’attend que son mari décède pour pouvoir hériter. Tout cela sous le regard lucide et malicieux de Toinette, la servante d’Argan.

Dès le prologue, le ton est donné (« Votre plus haut savoir n’est que pure chimère, vains et peu sages médecins; Vous ne pouvez guérir par vos grands mots latins la douleur qui me désespère« ). Les médecins sont présentés comme des personnages irresponsables dont les traitements ridicules ne reflètent que leur incompétence. Dans la scène 10 de l’acte III, Toinette, la servante, se déguise en médecin et vient ausculter Argan, toujours prêt à solliciter un avis médical. Le fameux dialogue du diagnostic (« Le poumon, le poumon vous dis-je.« ) tourne le pseudo-savoir médical de l’époque en parodie hilarante.

« Que Monsieur fait merveilles, et que, s’il est aussi bon médecin qu’il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades. »
Acte II, scène 5

Dans cette critique qui ne se limite pas à une vulgaire satire raillant le corps médical dans son ensemble, on distingue la lutte entre une médecine rudimentaire telle qu’elle est enseignée et pratiquée à l’époque (la théorie « humorale » héritée d’Hippocrate) avec celle d’une médecine émergente, moderne et scientifique. C’est en effet à cette époque que l’on invente le microscope qui permet dès lors de découvrir l’existence des microbes, les globules rouges et les cellules. C’est à cette même époque que William Harvey va faire la découverte de la circulation sanguine en 1628 mais qui ne sera reconnue en France qu’en 1672. Théorie circulatoire contre laquelle Mr Diafoirus-fils soutien même une thèse dans la pièce.

Molière, confronté lui-même à la maladie à plusieurs reprises, et grâce à sa vive intelligence ainsi qu’à deux de ses amis médecins, s’intéressait beaucoup à la médecine. Il était convaincu qu’une autre médecine, différente de celle des purges et des saignées, était possible. Il était au courant des médecines alternatives, plus douces et des dernières découvertes scientifiques. Dans la scène 3 de l’Acte III, Béralde, le frère d’Argan, exprime cette vision plus réfléchie. Il affirme, avec raison, que les médecins de l’époque ont tort de faire croire les malades en leurs traitements farfelus mais que les malades eux-mêmes ont tort de les croire aveuglément.

Car le personnage d’Argan et son angoisse de la mort mettent également en lumière le comportement paradoxal que peuvent adopter les patients eux-mêmes et la dépendance que la médecine peut créer chez eux. Argan enrage quand on lui dit qu’il n’est pas malade; il souhaite marier sa fille à un médecin pour pouvoir en disposer à sa guise et finit par devenir médecin lui-même dans la scène finale. Molière est donc le premier à décrire ce que l’on appellerait aujourd’hui une névrose obsessionnelle.

Le Malade Imaginaire est un Classique médical, qui devrait sans doute être inscrit au programme de tous les étudiants en médecine. Tout soignant devrait l’avoir lu au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour éviter de tomber dans les pièges que Molière, grand observateur de la nature humaine, a si subtilement révélé.

« Les usages qui ont leur force dans la faiblesse humaine, bravent tous les traits du ridicule. Molière, il faut bien l’avouer, n’a point corrigé les hommes de la médecine, mais il a corrigé les médecins de leur ignorance et de leur barbarie. »
–   Daniel Bonnefon.

 

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