Quel Avenir Pour la Médecine Dentaire ?

Ce texte est une réflexion personnelle et ne saurait prétendre à une quelconque valeur d’absolu. Il a néanmoins le pouvoir d’inviter le lecteur qui le souhaite à formuler, dans la section consacrée, un commentaire courtois et réfléchi.

Mettez un groupe de chirurgiens-dentistes dans une pièce et au bout de quelques minutes, la discussion prendra une sombre tournure avec des sujets tout aussi pessimistes que la nouvelle convention, la CCAM, les projets de lois sur les professions libérales, les centres mutualistes low-cost, l’opposabilité des honoraires, le règlement arbitral, les charges, la « mort » de la profession…

L’avenir est-il si noir qu’on nous le prédit ? Quel sera le futur de notre métier ? Comment s’adapter ?

« C’ETAIT MIEUX AVANT… »

Il n’y a jamais eu de génération qui n’ait entendu cette vieille rengaine, assènée par les anciens qui, en plus d’avoir grassement profité, veulent saper le moral des jeunes. Mais là, il semblerait que se soit pire. Les raisons de s’inquiéter pour l’avenir de notre métier sont plus nombreuses que d’habitude et l’on nous prévoit, entre autres :

  • La fin du numérus clausus. Ni plus, ni moins.
  • La disparition des 5 piliers de la médecine libérale : secret médical, liberté d’installation, libre choix du praticien par le patient, entente directe des honoraires et liberté de prescription. Ni plus, ni moins.
  • Le salariat généralisé et obligatoire pour le compte de puissants groupes financiers privés. Ni plus, ni moins.

Personne ne sait si ces prophéties apocalyptiques se réaliseront de manière aussi fulgrante et implacable. Qu’il nous soit permis d’en douter. En revanche, une chose est sûre : la situation socio-économique du pays se dégrade sérieusement :

Tant que des réformes structurelles visant à réduire les prérogatives de l’Etat, tant que son coût de fonctionnement n’aura pas été tronçonné, tant que les paradis fiscaux n’auront pas disparus, etc. il faudra bien trouver des solutions pour que nos concitoyens, dans leur plus grand nombre, puissent se faire soigner. Ce sont les raisons des soubresauts qui agitent actuellement notre société.

« C’EST PAS MOINS BIEN MAINTENANT… »

Avant de sombrer dans la dépression professionnelle chronique, rappelons-nous que :

  1. Les hommes auront toujours besoin de médecins pour les soigner. TOUJOURS.
    Dans ce pays, à peine plus de 40000 personnes savent vraiment comment il faut s’y prendre pour soigner et réparer les dents humaines. En restant des spécialistes, les patients continueront à nous faire confiance et cela devrait normalement nous permettre de gagner notre vie dignement.
  2. La médecine « low cost » est un terme plus actuel pour désigner le vieux problème de la médecine à deux vitesses. Cette médecine permet, provisoirement, de contenter une population croissante et de décomplexer ceux qui la prodiguent en leur donnant l’impression d’oeuvrer pour le bien-être du plus grand nombre. Tout comme dans les domaines de l’alimentation, du logement, de l’éducation, de la construction, de l’équipement etc. rien ni personne ne peut empêcher cette tendance de tout écraser sur son passage car elle est le produit de la culture de masse. La question que l’on peut, à la rigueur, se poser est : la médecine « low-cost » vaut-elle moins que rien?
  3. Malgré les grandes utopies collectivistes et égalitaristes de l’Etat, beaucoup de nos concitoyens réalisent et comprennent que la santé a un prix, que prendre soin de son corps n’est pas facile et demande même des efforts. Ces patients, qui ne sont pas forcément les plus fortunés mais les plus éclairés, ne croient plus aux mensonges de l’Etat dont la seule raison d’être est de légiférer, encore et encore, afin de nous faire croire en sa capacité surnaturelle à répondre à tous les besoins, à résoudre tous les problèmes de tous les individus, sans exception.
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Les héros du film M.A.S.H ne laissent personne leur dire ce qu’ils ont à faire. Ils opèrent les blessés sans chercher à arrêter la guerre…

« CE NE SERA PAS PIRE DEMAIN… »

Après la faillite de cet Etat que l’on croyait omnipotent, la vague salvatrice de libéralisme et de déréglementation ne viendra malheureusement pas car avant de trépasser, la classe dirigeante actuelle aura pris soin de transférer le pouvoir à une autre classe dirigeante, celle du capitalisme de connivence.
Nos incompétents et couteux ministres de la Santé, administrateurs de la Sécurité Soziale seront remplacés par Allianz, Cerise et consorts, qui appliqueront à leurs nombreux centres de santé ainsi qu’à leurs affiliés, les méthodes de rentabilité de l’entreprise et la logique du profit à court terme.

Cela nous fait terriblement peur et c’est toute la singularité des libéraux que nous sommes : nous nous méfions autant de l’interventionnisme étatique dans notre pratique que de la libéralisation du « marché de la santé » (sic). Car nous sommes les seuls vrais professionnels de santé et nous seuls savons ce que c’est que de soigner.
Mais que pouvons-nous faire alors?

  • Maintenir un niveau de pratique d’excellence : tous les praticiens en conviennent mais très peu le font. Des services techniques et humains de grande qualité sont la meilleure garantie d’avenir pour n’importe quel professionnel, quelle que soit l’époque.
  • Réduire ses charges de structures : des dépenses maitrisées, des investissements raisonnables, une gestion rigoureuse, des matériaux moins couteux sont de bons atouts pour naviguer en période de crise.
  • Connaitre le contenu des contrats d’assurance : quand la Sécurité Soziale aura définitivement abandonné le dentaire, la concurrence fera rage entre les différentes mutuelles santé et il sera fort utile d’avoir une idée précise des différents types de contrats, des différentes garanties proposées aux assurés et des différentes possibilités de traitement laissées au praticien.
  • Eclairer le patient sur sa situation médicale et lui donner le choix de ses soins : il y a souvent un fossé entre les besoins réels d’un patient et ce qui est couvert par son assurance-santé. Et trop souvent les patients ne découvrent l’étendue de leurs besoins bucco-dentaires qu’après avoir souscrit à leurs contrats. Or, dans leur esprit, « couverture-santé » signifie « couverture » c’est à dire une protection intégrale en cas de perte totale et catastrophique. En réalité, la majorité des « couvertures-santé » ne sont que des programmes de maintenance simplistes. Le patient doit pouvoir garder le libre choix du niveau de soins dont il souhaite bénéficier.
  • Faciliter le financement du reste à charge : si les assurances ne couvrent pas la totalité des besoins de santé, les patients qui le souhaitent devront faire appel soit à des organismes de prêt, soit à des cabinets qui proposent et organisent ce genre de service.

CONCLUSION

Notre profession survivra aux vicissitudes du monde.  Mais elle ne pourra conserver sa dignité que si chacun d’entre nous s’efforce de défendre son éthique, son indépendance et sa liberté professionnelle. Un coup d’éclat, une grève ou une manifestation : pourquoi pas. Mais cela suffira t-il à nous rendre la liberté que l’Etat nous a volé, ou à maquiller nos querelles confratricides ? Un syndicat suffira t-il à sauvegarder l’indépendance de toute une profession (somme toute assez individualiste) ?

L’indépendance et la liberté se défendent au quotidien, coute que coute, envers et contre tous et quelle que soit la nature de son exercice. En pensant et en agissant toujours dans l’intérêt du patient, l’avenir ne sera ni plus noir, ni plus rose que l’époque présente; il sera fait, comme aujourd’hui et comme hier, d’opportunités individuelles.

En cette veillée d’armes, rappellons-nous bien contre quoi et pour qui nous nous battons.

Il n’y a pas de différence entre un pessimiste qui dit : « Oh c’est sans espoir, inutile de faire quoi que se soit » et un optimiste qui dit : « Inutile de faire quoi que se soit, de toute façon tout ira bien ». Dans un cas comme dans l’autre il ne se passe rien.
– Yvon Chouinard


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6 commentaires sur “Quel Avenir Pour la Médecine Dentaire ?”

  1. charly

    j’aime!
    surpris qu’il n’y est pas plus de commentaire….
    c’est vraiment bien de rappeler que de tous temps les hommes ont prétendu un passé plus serein….
    les rencontres que nous faisons nous, les jeunes , avec les anciens praticiens, nous sapent le moral,(rencontre, adf, formation….) alors qu’ils en ont bien profité pendant des années et nous laissent un terrain bien moins propice que le leurs à notre âge.
    merci à toi dentalist de cultiver une bonne humeur et un savoir parler digne!

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    • thedentalist

      Salut Charles,
      Je suis heureux de te revoir sur le site.
      Tu as raison et il est assez curieux de voir tous ceux qui prédisent des lendemains qui déchantent s’attacher au cadre d’exercice qui est le notre depuis plus de 30 ans. Comme si le joug imposé par la Sécu (avec ses nomenclatures irréalistes, ses tarifs opposables dignes de l’URSS, ses contrôles d’activité, son cout de fonctionnement ubuesque et ses fonctionnaires si privilégiés et si peu efficaces) était préférable, à tel point que nous devrions nous y accrocher par peur de ce que nous réserve l’avenir.
      Comme je l’ai écrit, je ne pense pas que cela puisse être pire qu’aujourd’hui…
      Ne nous laissons pas endormir ni par les uns ou ni par les autres.

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  2. benhaim

    Mais non ce n’est pas la fin du monde c’est la fin d’un marché captif, celui de la prothèse, la reconnaissance de la denturologie, du technicien dentaire clinique, le droit pour les consommateurs-patients d’acheter directement leurs DMSM au fabricant …. que des atouts pour la santé bucco-dentaire !
    voir sur http://www.association-denturologiste.com

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    • thedentalist

      Cher Monsieur,
      Il m’a été difficile de savoir si votre commentaire relevait de l’ironie ou si c’était l’expression sincère de votre point de vue. Sachez en tous cas, que ce site, qui traite fréquemment de prothèse dentaire, est lu par un grand nombre de chirurgiens-dentistes à qui je laisse le plaisir d’apprécier vos idées et votre combat.
      Merci de nous avoir laissé le lien vers le site internet de vos activités que je me permets de compléter pour chacun puisse bien comprendre de quoi il s’agit : http://www.ledauphine.com/faits-divers/2014/12/11/les-chirurgiens-dentistes-ont-toujours-une-dent-contre-le-denturologiste-caturige
      Personnellement, et très sincèrement, je n’ai rien contre car la légalité (ou l’illégalité) de votre pratique qui demeure toute relative à la loi en vigueur, notion très « variable » selon les lieux et les époques… Cependant, et tout autant que vous, je pense connaitre un tant soit peu la discipline de la prothèse dentaire et je dois vous dire que prétendre l’isoler de la démarche médicale globale est une erreur (que certains de mes confrères peuvent aussi commettre certes) mais une erreur quand même.

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  3. Marc

    Je vous félicite pour votre analyse.
    Et que pensez vous de l’effet de l’arrivée Massive de praticiens formés à l’étranger qui tendent à dépasser la moitié des inscriptions à l’ordre chaque année en région parisienne. A paris près de 200 praticien sortent chaque année des rangs de la fac, et il y a autour de 400 Etudiants parisien ( pour la majorité enfants de dentistes) dans les facs espagnoles prêt à sortir inonder le marché

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    • thedentalist

      Bonjour Marc,
      et merci pour votre question qui met en lumière un problème qui préoccupe beaucoup nos confrères. Personnellement, ce n’est pas un sujet qui m’empêche de dormir. De mon point de vue, ce n’est pas la faculté d’origine qui fait la qualité du praticien. C’est un orgueil mal placé, teinté de chauvinisme, qui pousse à croire que seuls les praticiens formés en France seraient dignes d’y exercer. C’est une erreur pour deux raisons : d’abord parce que le niveau général de la formation initiale odontologique française est en chute libre; il suffit d’interroger les étudiants, les anciens étudiants, les assistants pour s’en rendre compte. Ensuite, parce que c’est la formation continue et la motivation intrinsèque du praticien qui font la qualité des soins qui seront délivrés par lui dans le futur. J’ai rencontré des praticiens originaires de pays d’Europe de l’Est, du Maghreb, du Moyen Orient ou d’Amérique latine et dont le travail ferait pâlir n’importe quel praticien français.
      Mais le problème sous-jacent que je crois deviner dans votre question est un problème d’ordre démographique. Cette question « politique » dépasse mon champ de compétence. Et si l’on en croit les décisions politiques prises au cours des dernières décennies en France, cette question dépasse aussi la compétence de nos élus qui semble être totalement dépassés (par manque de connaissance de la réalité du terrain médical et aussi par manque totale d’anticipation) par l’évolution de la situation médico-sociale dans le pays. Si l’on ajoute les directives européennes qui priment aujourd’hui sur le droit français la situation que vous décrivez est parfaitement logique.
      Mais je vais rajouter deux points à ma réflexion sur le sujet :
      1- la France manque cruellement de soignants
      2- si elle continue à mal les considérer, demain il n’y en aura plus assez
      Mais l’un dans l’autre, je reste convaincu qu’il y aura toujours du travail pour les praticiens qui ont à coeur de bien faire leur métier…

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