
Dans un ancien article, nous avions décrit un cas clinique de remplacement d’une incisive mandibulaire par un bridge céramo-métallique en cantilever, c’est à dire ne prenant appui que sur une dent pilier, au moyen d’une seule ailette.
Depuis, l’évolution des matériaux de restaurations a permis de d’élargir les indications de ce type de restauration et surtout d’en améliorer les performances cliniques, aussi bien sur le plan esthétique que sur le plan de la pérennité. Et cela méritait bien une mise à jour…
INDICATIONS DES BRIDGES COLLÉS CANTILEVER
Ce type de restauration prothétique est à privilégier dans les situations d’édentement antérieur unitaire où l’option implantaire où l’option de la prothèse amovible partielle ne sont pas retenues. Un exemple relativement fréquent est celui des adolescents qui présentent des agénésies des incisives latérales maxillaires et pour qui l’option implantaire est soit refusée définitivement, soit retardée à plusieurs années pour permettre la fin de la croissance faciale.
La sélection du patient pour ce type de restauration est très important. Il faudra éviter (ou tout au moins se méfier dans) les situations suivantes :
- Supraclusion antérieure
- Parafonctions, onychophagie, tenue d’objets entre les dents
- Bruxisme
- Risque carieux élevé
- Pratique de sports violents
- Faible observance
A lire également : Retrospective Clinical Study of Single-Retainer Cantilever Anterior and Posterior Glass-Ceramic Resin-Bonded Fixed Dental Prostheses at a Mean Follow-up of 6 Years.
DESIGN DES PREPARATIONS
Une préparation minimalement invasive de la face palatine de la dent pilier est nécessaire pour :
- augmenter la surface de collage,
- augmenter la stabilité primaire de la prothèse,
- permettre une épaisseur suffisante du connecteur grâce à la mises en forme de boites proximales.
Il a également été montré qu’une préparation minimale de la surface dentaire permettait de multiplier par 20 les forces d’adhésion par rapport aux protocoles sans préparation (prep-less).

Le choix des dents piliers et sous la dépendance de multiples paramètres cliniques tels que le statut parodontal, le schéma occluso-fonctionnel… mais peut se formuler de la sorte :
- Incisive centrale pour remplacer une incisive latérale. La canine peut aussi être choisie.
- Incisive centrale contro-latérale pour remplacer une incisive centrale manquante.
- En raison de leur faible hauteur et de leur translucidité, les incisives latérales maxillaires ne sont pas de bonnes candidates pour servir de pilier à ce type de restauration. Les incisives latérales mandibulaires peuvent, dans des certains cas, servir de piliers (cf cas clinique #4).
IMPORTANCE DU CONNECTEUR
Le talon d’Achille de ce type de restauration est la zone de connexion entre l’ailette destinée au collage et la dent prothétique en cantilever. Si les dimensions de ce connecteur sont insuffisantes, le risque de fracture à ce niveau est réel.

Des études se sont penchées sur la question de son épaisseur:
- Des études ont établi une épaisseur minimale de 8mm²
- Les études de Kern & coll. invitent à plus prudentes et recommandent une épaisseur de 12mm² pour le disilicate de lithium.
- Les connecteur en zircone présentent une meilleure résistance à la flexion et peuvent être réduit à 9mm² minimum.
N.B : Malgré les études faites par plusieurs auteurs et le recul clinique, la société Ivoclar, qui commercialise l’E-max, ne garantie pas (à l’heure où nous écrivons), en cas de fracture, le recours à ce type de restauration.
STRATÉGIES DE COLLAGE
La mise en place du champ opératoire est recommandée mais il faudra éviter de trop le tendre afin d’éviter un « effet trampoline » du pontic.
Pour faciliter la mise en place de la prothèse lors de l’essayage, la stabilité primaire liée au design de la préparation sera utile. On peut également demander au prothésiste de réaliser des clés (soit en silicone, soit en résine) de positionnement prenant appui sur les dents adjacentes.


Le traitement de l’intrados prothétique doit être adapté au matériau choisi :
- Disilicate de lithium (E-max) : acide fluorhydrique (20 secondes) + silane + colle composite
- Zircone : sablage doux à l’alumine + silane + colle composite
Le traitement de la surface dentaire est toujours le même :
- Nettoyage à la ponce
- Sablage doux à l’alumine
- Mordançage : émail : 40 secondes; dentine 20 secondes
- Application de l’adhésif
EXEMPLE CLINIQUE #1
Patient de 16 ans présentant des agénésies des incisives latérales, adressé par son orthodontiste pour envisager une solution de remplacement fixe, transitoire de longue durée, avant un éventuel traitement de remplacement implantaire dans quelques années.











EXEMPLE CLINIQUE #2
Patiente de 16 ans en fin de traitement orthodontique, adressée par son omni-praticien, pour envisager une solution de remplacement à la 22. La patiente porte une PAP résine transitoire qu’elle supporte – on l’imagine – très mal. Elle est bien sûr trop jeune pour bénéficier d’un traitement implantaire.






EXEMPLE CLINIQUE #3
Patient de 18 ans, trop jeune pour être candidat à l’implantologie, ayant perdu la 21 suite à une chute de vélo. Le remplacement transitoire de longue durée de la dent s’est fait par un bridge collé cantilever en disilicate de lithium en appui sur la face palatine de la 11.



EXEMPLE CLINIQUE #4
Patiente de 52 ans atteinte d’une parodontite chronique et pour qui les deux incisives centrales mandibulaires sont condamnées. L’option implantaire, nécessitant une reconstruction osseuse associée est rejetée pour des raisons de coût et de durée du traitement. L’option de deux bridges collés cantilever en appui sur les incisives latérales mandibulaires a été retenue.





EXEMPLE CLINIQUE #5
Patiente de 64 ans, à la recherche désespérée d’une solution implantaire pour le remplacement de son incisive latérale maxillaire gauche. Aucun des spécialistes consultés n’a choisi d’engager un traitement implantaire en raison d’un défaut osseux majeur résultant de l’extraction de la canine incluse supérieure gauche plusieurs années auparavant.
Des procédures lourdes et risquées de greffes osseuses d’aménagements muqueux auraient été nécessaires préalablement à un traitement implantaire. Une solution alternative de bridge cantilever collé a été étudiée et proposée à la patiente. Les risques possibles d’embrasures larges et de rétentions alimentaires ont été exposés à la patiente qui a finalement opté pour cette option.









CONCLUSION
Le recours aux bridges cantilevers collés en céramique constitue une alternative prothétique très intéressante et, dans certains cas, salvatrice. L’apparition récente d’un code de cotation conventionnelle (HBLD093) permet enfin de faire espérer une prise en charge (partielle) de la part des assurances santé.
Mais ce type de restauration demande malgré tout:
- le bon respect des indications,
- la bonne sélection du cas,
- et la parfaite maitrise de l’adhésion des matériaux céramiques aux tissus dentaires.
A lire également :
- La Révolution Céramique
- Comment Améliorer le Collage
- Les Adhésifs Amélo-Dentinaires
- Intérêt des Sableuses au Cabinet Dentaire
- Comment Gérer les Pontics de Bridge
Merci pour cet article, extrêmement bien illustré comme d’habitude.
Vous évoquez le risque de fracture du disilicate en fonction de la forme de la préparation et des facteurs liés au patient.
Dans un cas défavorable, est-ce qu’il n’est pas préférable de réaliser un collage sur ailette métallique ? L’esthétique en prend un coup, mais cela permet d’avoir une préparation plus fine et un risque de fracture moins élevé. De plus, le Superbond qui serait utilisé dans une telle situation apporte une légère « souplesse » supplémentaire.
Qu’en pensez-vous ?
Bonjour Maxime,
et merci pour votre intervention.
Dans un cas défavorable, il y a quatre options :
1- l’abstention
2- transformer la situation défavorable en situation favorable (ODF? Améloplasties?…)
2- trouver une alternative thérapeutique (implant? PAP?…)
3- trouver un compromis acceptable
Ici, l’option d’un bridge cantilever en métal est peut être un compromis acceptable, en effet… Comme vous le dites fort justement, le métal permet une épaisseur réduite, sans risque fracture alors qu’avec la céramique, c’est impossible, sous peine de fracture du matériau. John McLean le formulait ainsi : « La céramique fine ne se comporte pas comme le métal fin ».
Personnellement, je constate que l’adhésion de la vitro-céramique à l’émail est une bénédiction puisqu’il y a une véritable « fusion » chimique entre l’émail, la colle et la céramique. Le métal n’atteint pas de telles valeurs d’adhésion mais ça peut très bien fonctionner avec le duo sablage+silane. En revanche, je ne suis pas sûr que le Superbond permette d’obtenir la « souplesse » que vous évoquez…mais peut être ne connais-je pas assez bien ce produit.
Pour le coup l’adhésion au métal avec le Superbond, c’est quelque chose que j’ai appris à la fac mais pas lu en littérature (la littérature récente ne s’y intéresse plus), mais du coup j’ai fait quelques recherches :
http://sci-hub.tw/https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022391396903066
–> Shear Bond Strenght de 40 MPa sur CrCo sablé et collé au Superbond
http://sci-hub.tw/https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0022391394902887
–> Shear Bond Strenght de 40-60Mpa sur différents alliages de NiCr (y compris Chrome pur) collés au Superbond
–> Cet article-là résume pas mal d’études entre 1978 et 1998.
http://sci-hub.tw/https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022391300088090
–> 50 à 120 Mpa sur différents alliages collés au Superbond
http://sci-hub.tw/https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0011853206001339
–> pas de chiffres, mais résume l’optimiste du collage de métal sur dent, évoque notamment le cantilever 1 ailette métal
Au final ça ne me donne pas d’idée précise des valeurs d’adhésions attendues du Superbond dans un tel cas.
Je n’ai pas classé ces articles dans un ordre particulier, et si un autre lecteur veut apporter un peu plus de lumière sur ce point, j’en serais ravi !
Quant à la « souplesse », je n’ai rien trouvé du tout sur ce point, ahah. L’enseignant qui m’en parlait en était convaincu, mais je n’ai aucune source à citer.
Merci Maxime de nous faire profiter des résultats de tes recherches et de tes réflexions.
Je n’ai que très exceptionnellement utilisé le Superbond (à moins que ça n’ait été le Panavia… ça date…) car je ne fais pratiquement plus de métal. L’Emax et son aptitude au collage ont tout changé.
Cela dit, une situation exceptionnelle comme celle que tu évoques peut toujours survenir et il faut savoir s’y adapter. Les études dont tu nous fais profiter confirment que ce que l’on faisait avant le disilicate de lithium est toujours envisageable dans ces situations particulières.
Merci a toi cher ami pour ce sublime article qui tombe a pic pour moi! coïncidence?
Bien le bonjour a toi d outre Atlantique!
Cher Charles,
Je suis heureux de savoir que cet article te sera utile pour ta nouvelle vie professionnelle.
Vive le Quebec libre!!!
Amitiés.